Les Bonnes Conditions
6.8
Les Bonnes Conditions

Documentaire TV de Julie Gavras (2017)

Spoiler : A la fin, tout se termine bien.

Ici les "bonnes conditions" côtoient surtout les bonnes intentions. La mièvrerie coule partout sur la pellicule. Le montage est scolaire et sommaire. Le story-bord est souvent embrouillé sautant d'un intervenant à l'autre sans raison claire ni fil conducteur. Et si au bout de 13 ans de production, ce sont ici les passages les plus intéressants que nous propose la réalisatrice, le résultat à l'écran est tiède.


Passée l'habituelle empathie que tout être humain ressent un minima devant la logorrhée de ses congénères, on s'interroge sur le vide de la démarche. Que reste-t-il après le visionnage de ces 90mn découpées en 3 parties par des montages photos incapables de restituer efficacement les propos au regard de l'axe temporel ?


Les téléspectateurs vont rencontrer 8 protagonistes qui vont tout d'abord tisser la toile de fond de leur enfance : profession des parents, ambitions pour le futur, vie lycéenne dans le 7e arrondissement parisien, cours de piano, équitation, escrime, opéra, cours d'art et vacances autour du globe (Grèce, Etats-Unis, Cuba, Lybie, Andalousie...)


Le reste du docu se cantonnera essentiellement à égrener leur parcours scolaire, leurs stages, leurs diplômes et leurs déménagements de la maison familiale, à la chambre de bonne juste au-dessus des parents, à l'appartement hérité d'une grand mère fraîchement décédée pour finir par le 1er appartement acheté grâce au 65000 €/an de salaire et un prêt parental sans intérêt. Voilà grossièrement pour le contenu.


Qu'ils soient issus de classes sociales aisées ne m'intéresse pas fondamentalement. Personne ne choisit sa famille de naissance. Au pire il s'en arrange, au mieux il s'applique à la déconstruire pour se construire lui-même. L'élément qui m'a donné envie de voir ce film est le concept du documentaire inscrit dans le temps long : 13 ans transposés en 90mn.


Mais ici, le titre du docu "Les bonnes conditions, immersion dans la jeunesse dorée française" est volontairement racoleur et jette en pâture sa brochette d'adolescents sur la sellette du téléspectateur lambda qui rentre chez lui après sa journée de travail. Que veut dire ce titre, quand tout ce qui suit dans le documentaire tente de détricoter des préjugés anti-bourgeois qui existeraient d'office dans l'âme noire du prolétaire de base ? Mais sérieusement : pourquoi ce titre "putassier" ?


Je me suis toujours interrogée sur les motivations des individus (mineurs de surcroît) qui acceptent de "se raconter" ainsi face caméra. J'ai toujours l'impression que de pauvres individus égotiques se sont fait "avoir" d'une certaine façon par ce qui ressemble de plus en plus à une société du spectacle permanent. Mais après avoir terminé mon visionnage, une pensée m'a réconforté, Julie Gavras les a rémunéré d'une certaine façon : au regard du résultat elle leur à offert là un bien beau CV-vidéo complaisamment utile.


Au final ce film finit par ressembler à l'un de ses personnages qui dit qu'elle n'aime pas "avoir d'avis". Ce film n'aime pas avoir de "point de vue". Vous assisterez ici à une accumulation de conversations anodines où les seules qui sont à sauver sont les toutes premières, c'est à dire lorsque les 8 protagonistes sont encore adolescents. La suite répond tout à fait à l'idée répandue, mais vraie, que dès qu'un individu se met à se raconter, il ment (la focalisation interne empêchant, de fait, toute possibilité d'impartialité d'un récit).


Et plus les années passent et plus la parole devient laconique et les zones disponibles à l'exploration se font rares. La bienveillance, nécessaire à ce type de démarche, du début, se transforme en complaisance stérile. Et on s'ennuie fermement face à ces 8 jeunes adultes qui ont appris "ce qu'il faut taire" et à la réalisatrice qui sait "ce qu'il faut ne pas montrer à l'écran et les questions à ne pas poser". Ces jeunes adultes ne parlent jamais de livre, d'amour, de famille, de nourriture, de sexe ou des gens qui comptent pour eux. Leur monde semble se limiter (grâce au parti pris de la réalisatrice) au : boulot, salaire, voyage, étude et appartement.


Eh oui les enfants de bourges ça se racontent comme des Loannas ordinaires face caméra, mais ne cherchez pas ici de piscines et de jeunes éphèbes entreprenants. Selon Julie Gavras, les riches, quand ils s'épanchent, ils restent dans le contrôle. Politesse et bonne éducation des protagonistes ou efficacité du montage qui ampute volontairement les instants qui "déraillent" ? Le résultat : Rien ne déborde du cadre, l'image est lisse et le réel ne craquelle pas un seul instant sous le vernis de la fable sociale.


Et à force de vouloir "normaliser" ses sujets, la réalisatrice va transformer ce qui aurait pu être un instantané honnête et humain en une traversée morne, plate, asexuée où les rares aspérités sont balayées d'un revers de caméra.


Alerte Spoiler : tout se terminera bien (santé, étude, logement) grâce à l'intelligence, la ténacité, la beauté, le talent et les efforts méritoires de nos 8 héros... mais aussi un peu (beaucoup, souvent et longtemps) grâce à l'argent de maman et papa.


On a beau faire du docu-réalité, on est pas chez Zola non plus... ou presque.

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le 29 juil. 2019

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