Quand le cimetière se planque sous la neige
PFiou les amis, quelle baffe ce grand silence, 1h30 de plaisir total, de dépaysement neigeux et de sales gueules qui flinguent à tout va. Éprouvant en diable, à l’épine dorsale épurée de bonne morale, seule la loi du plus fort règne dans l’univers de Corbucci. Dans les terres hostiles qu’il se plait à filmer, les génies de la gâchette y sont même plus craints que Dieu le père.
Le grand silence est un film remarquable par sa plastique, offrant tour à tour des plans somptueux, véritables peintures rehaussées par la force d’une couleur contrastant avec les grands espaces enneigés et tristement blancs sur lesquels elle est apposée. En découle une symbolique forte qui s'impose pendant tout le film : la neige, semblable à un manteau de pureté, couvre les corps et éponge les bains de sang quotidiens. Chaque balle tirée trouve alors une résonance pourpre chaude qui déchire avec tristesse ce manteau versatile qui enveloppe le cadre.
Servi remarquablement par deux acteurs charismatiques, le grand silence dépeint une époque noire où la loi n'a plus de frontière, où les shérifs préfèrent sous traiter leur boulot à des salopards aux dents longues dont le seul langage est le dollar. Ces énervés en quête d’oseille titubent sur un filin presque invisible séparant la légalité d’une action judiciaire du meurtre pur et dur, faisant fi des règles qu'ils se targuent de faire respecter à coup de revolver quand la situation l’exige. Corbucci va au bout de son propos, en ponctuant sa noire démonstration par l’une des fins les plus définitives que le cinéma ait pu offrir. Pendant près de 90 minutes, il prend grand soin à pourvoir chacun de ses personnages d’une forte dose de charisme, les gratifiant presque de l’auréole des héros, pour pouvoir les désacraliser en l’espace d’une séquence d’une extrême brutalité qui leur rappelle avec violence leur statut éphémère d’être humain. C’est sur les genoux que l’on finit la séance, abasourdi par ce panache à toute épreuve qui prend la forme d'un furieux bras d'honneur aux conventions très morales qui ont longtemps été l’apanage du western à papa.
Si la réalisation de Corbucci n’est pas virtuose à proprement parler, elle épouse parfaitement le propos qu’elle image et parvient à tirer un fort sentiment d’authenticité des ambiances naturelles qui contextualise le film. Et en guise de cerise sur un gâteau gavé de strychnine, Ennio Moricone signe une bande son entêtante, toute en retenue, qui épouse les images pour se faire l’ écho discret de leur tonalité à la fois critique, résignée mais surtout très fataliste. Fataliste, car tout est finalement joué dès le début : tout espoir d'amnistie paraissant de plus en plus irréel au fur et à mesure que l’intrigue se déroule.
Le grand silence est un film remarquable et l’on comprend aisément pourquoi il fait référence dans le genre : ses décors enneigés en font un western au contexte atypique, son culot constant dès qu’il s’agit de détourner les codes d’un far ouest classique est on ne peut plus stimulant, sa musique lancinante est un vrai régal et ses personnages retords lui fournissent un climat d’une tension très vive. En somme, tous les ingrédients d’une séance musclée sont réunis. Une séance dont vous ressortirez avec un sourire vicieux sur le visage et la certitude d'avoir assisté à l'un des dénouements les plus marquants du cinéma.
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