Dans la mythologie nordique, seuls les guerriers les plus valeureux accèdent au Valhalla et y sont accueillis par Odin, le principal dieu de cette mythologie. Cela permet une première interprétation du film de NWR : "One-Eye" (Mads Mikkelsen), après avoir longuement prouvé son exceptionnelle valeur guerrière, fait le sacrifice de sa vie, convaincu qu'il est arrivé au bout de sa destinée humaine et qu'il sera bien reçu au Valhalla (le paradis des Vikings). D'où le titre du film : Valhalla Rising (c'est à dire : Montée ou ascension au Valhalla).
Est-ce tout ce que NWR a voulu nous dire avec ce film ultra-violent, étrange, hors norme, désespérant ? Cela m'étonnerait. D'abord, le titre peut très bien s'entendre de façon ironique, car à supposer que "One-Eye" croit au Valhalla, il y a assez peu de chances pour que le réal, lui, y croit. Ça n'est sûrement pas compatible avec sa conception de la destinée humaine.
Je vois dans le film un double questionnement :
- Que fait l'homme sur terre ? Il y a la nature, certes admirable, magnifique dans sa sauvagerie première. Et perdu, minuscule et fragile au milieu de cette immense, prodigieuse nature : l'homme. C'est ce que NWR nous dit clairement au début du métrage, avec ses plans très larges dans lesquels les humains apparaissent quasiment avec une taille d'insecte.
- Dans cette immensité du monde, dont on repousse toujours plus loin les limites, cette immensité de l'univers, quel sens a la civilisation humaine ?
"One-Eye" symbolise l'homme, l'homme héroïque dans sa volonté de survivre (et de se libérer de tout ce qui l'enchaîne). Le film raconte son histoire, son odyssée. Une odyssée en six chapitres : 1. La Colère, 2. Le Guerrier silencieux, 3. Les Hommes de Dieu, 4. La Terre sainte, 5. L'Enfer, 6. Le Sacrifice.
Odyssée qui va de la sauvagerie du monde connu (des combats humains d'une violence inouïe jusqu'à ce que mort s'ensuive, "One-Eye" étant représenté comme un captif surhumain qui triomphe de tous les adversaires qu'on lui oppose) à la sauvagerie d'un monde inconnu (terme de l'odyssée du héros, qui a bien mérité son accueil au Valhalla... à supposer qu'il existe), en passant par la rencontre que font les deux Vikings ("One-Eye", après s'être libéré de ses chaînes, accepte la compagnie d'un jeune garçon qui le nourrissait lorsqu'il était encagé et qui désormais lui sert d'interprète, puisque, lui, ne parle pas) avec des évangélisateurs-pèlerins chrétiens avec qui ils embarquent pour Jérusalem et débarquent, de longues semaines brumeuses et assoiffées plus tard, en "terre promise", en fait un enfer vert (Vinland, l'Amérique du nord) peuplé d'ennemis invisibles et primitifs.
Donc, de la sauvagerie à la sauvagerie en passant par un épisode "chrétien" où tous ceux qui portent la nouvelle d'un Bon Dieu sont présentés comme des illuminés qui évangélisent une épée à la main, n'ambitionnent que de soumettre le reste du monde à leur vision des choses et qui, ainsi aveuglés par leur ambition, pulsions contrariées ou folie, finissent tous mal d'une façon ou d'une autre.


Comme on voit, NWR nous présente une vision très pessimiste de la destinée humaine. Son film est un monde quasi sans femmes (un bref plan les montre rassemblées nues et parquées en troupeau silencieux et apeuré) où ne règne que la force sauvage et brutale, où l'homme doit, pour survivre, se battre à mort avec ses semblables et où, si fort soit-il, il finit par périr à son tour accablé par le nombre de ses adversaires.
Et avant qu'il ne périsse, pendant le laps de temps de vie que le Destin lui laisse, que peut-il faire de... constructif ? Quelque chose de très vain et de très dérisoire : laisser une trace de son passage dans ce monde.
"One-Eye", qui sait se battre mieux que quiconque mais qui ne parle ni ne sait écrire, édifie un empilement de pierres, comme d'autres empilent les écrits ou les films, les lingots ou les ouvrages architecturaux ou... Un dérisoire empilement de pierres, il ne laissera rien d'autre derrière lui (outre ce jeune garçon blond, sorte de fils spirituel, qui a appris de lui tout ce qu'il a pu apprendre, son art du combat, et qui devra faire avec, pour survivre à son tour s'il le peut). Et lui qui se bat mieux que quiconque, il renoncera finalement à se battre, preuve au fond qu'il ne croit plus en l'existence d'un quelconque Valhalla et d'un quelconque Odin.


Mon sentiment est que NWR fait un constat très noir de la destinée humaine et du monde qui l'entoure : la nature est magnifique (et esthétiquement, Valhalla Rising est un film superbe), le monde, l'univers, la vie, l'homme sont des créations d'une sidérante beauté, mais tout ça n'a pas de sens (ou en tout cas, un sens qui nous échappe) ; nous naissons, nous vivons, nous aimons, nous souffrons, nous mourons... pour rien.
"Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer" disait Voltaire. Avec ce film-odyssée, cette esthétisation de la violence, ce voyage initiatique au bout de l'enfer, NWR semble nous dire que l'inventer ne résout rien, car la violence (tuer l'autre pour s'affirmer et lui survivre) restera toujours au coeur de l'homme.

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le 2 juin 2018

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Fleming

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