Ne nous leurrons pas, le film est loin, très loin d'être bon. C'est peut-être même le plus faible de la nouvelle trilogie et, à ce titre, des six films réalisés par Peter Jackson consacrés aux aventures pédestres des hobbits. Néanmoins il constitue la dernière incursion du spectateur dans l'univers de Tolkien, dans cette Terre du Milieu au bestiaire incroyable peuplée d'elfes, de nains, de magiciens, de dragon, de trolls, d'infâmes orques et d'effroyables créatures d'outre-tombes, et érigée de cités aux dimensions colossales, de montagnes gigantesques et de palais séléniens teintés d'argent sous la lumière éclatante de la voûte céleste, dans ce monde fantastique, onirique, fantasmagorique, dramatique, tragique qui l'aura fait rêver, frissonner, pleurer, frémir et l'aura émerveiller depuis treize ans jour pour jour.
Ne nous leurrons pas non plus sur l'ambition du film. L'authenticité, la dramaturgie, la beauté et la noirceur du Seigneur des Anneaux ne sont plus les fers de lance de cette nouvelle trilogie. Elle n'est pas dédiée au même public. Peter Jackson le dira lui-même à l'issu du tonnerre d'applaudissements qui clôturera son film. Les visages ont changé sur la toile comme dans la salle : ils sont plus jeunes, plus frais, nouveaux. Le public du Seigneurs des Anneaux n'est plus à conquérir, place à la jeunesse. A eux d'avoir leur trilogie en Terre du Milieu, a eux d'en apprécier la beauté et la magie pour un jour recevoir le gigantesque soufflé du Seigneur des Anneaux. Mais le film est également destiné à nous, générations de la première trilogie, dont l'enfant qui scrutait la carte de la Terre du Milieu et retraçait du doigt le périple de ses compagnons d'infortunes sommeille toujours en nous. Hobbitersweet Symphonie..
La tragédie, le romantisme et l'ambiance crépusculaire de la première trilogie ont cédé leur place à la naïveté, aux grands sentiments, à l'émotion et à l'avalanche de couleur et de péripéties facétieuses (à défaut d'être réellement dramatiques) des contes initiatiques pour enfants. Car il ne faut pas l'oublier, The Hobbit est à l'origine un conte. Et en cela, si l'on met de côté l'absurdité du découpage en trois films (qui aura toutefois eu comme avantage de prolonger le voyage en Terre du milieu) et l'utilisation abusive des images de synthèses (les masques et maquillages des orques et des Uruk-hai de la weta me manquent terriblement), la nouvelle trilogie de Jackson est une franche réussite, gratifiant le spectateur de scènes de bravoures toutes plus imaginatives les unes que les autres.
Cet ultime épisode n'échappe pas à la règle bien qu'il se montre plus sombre, guerrier et visuellement terne que les deux précédents. Comme pour Un voyage inattendue et La désolation de Smaug, La Bataille des Cinq Armées calque plus ou moins la structure narrative de son homologue de la première trilogie : batailles immenses, Legolas cheaté, union des peuples libres contre les forces du Mal, retour du Roi, adieu déchirant et retour dépaysant à Hobbiton, tout y est. Avec moins de force que dans le Retour du Roi, certes, mais la recette fonctionne toujours, si bien qu'on ne voit pas les 156 minutes du film passées. Et pourtant qu'il est truffé de petites erreurs d'appréciation et de défauts malheureusement trop grossiers pour ne pas amputer au film de sa qualité. On regrettera par exemple l’inexistence manifeste de l'ensemble des héros de la communauté de Thorin (à part lui-même dans un numéro Golumesque-Frodonesque et Kili transi d'amour pour la ravissante Tauriel), que les deux précédents films s'étaient échinés à faire exister.
Mais la générosité, la passion et l'honnêteté du metteur en scène réconfortent, et tous les défauts du monde ne pourraient entamer mon enthousiasme à voyager en Terre du Milieu ni mon envie d'y retourner une ultime fois pour y voir et entendre conter de nouvelles aventures trépidantes avec ses lots de gobelins, de hobbits, d'hommes, d'elfes, de magiciens, et de nains dont regorge l’œuvre de Tolkien. J'ai malheureusement la triste impression qu'on la voyait ce soir pour la dernière fois au cinéma, quinze ans après le début de son histoire en Nouvelle-Zélande en octobre 1999. J'avais alors neuf ans, je lisais The Hobbit, et n'imaginais pas l'étendue du monde imaginé par Tolkien et qu'allait offrir Peter Jackson aux yeux ébahis du monde entier. Pour son dernier voyage en Terre du Milieu, il conclut sa nouvelle trilogie comme sa première et consacre le loyauté, la bravoure et le courage des petites gens comme sommet de l'héroïsme et dernier rempart face à la véhémence et la brutalité du mal et la corruption du pouvoir. Il se paie même le luxe d'introduire de fort belle manière les évènements du Seigneurs des Anneaux et nous invite tous à nous replonger dans les versions longues de sa première trilogie, pour savourer la plénitude du monde de Tolkien, et du sien, et nous incite à saluer les nouveaux pensionnaires de la Terre du Milieu et à remercier les anciens : Legolas, Bilbo, Galadriel, Saroumane et Elrond. La communauté de l'anneau vous attend. Le Mordor c'est à gauche.
Ils me manquent les pavés glissants de Bree et les pâturages verdoyants de la Comté. Elles me manquent les couleurs automnales de Fondcombe, de la Lothlórien et d'Amon Hen. Elles me manquent les ténèbres angoissantes de la Moria et du Mordor et la noirceur brumeuse et fantomatique de l'Emyn Muil, du Marais des morts et de la forêt de Fangorn. Elles me manquent les facéties de Merry et Pipin, les remontrances de Gandalf, les réflexions météorologiques de Legolas, les discours endiablés de Theoden et la clameur de ses rohirrims. J'aimerais revoir le château d'or d'Edoras, l'Arbre Blanc de Minas Tirith, et la lueur des feux d'alarmes et entendre résonner le cor du Gouffre de Helm et sonner celui du Gondor une dernière fois. Et par dessus tout "J'aimerai revoir les montagnes... les montagnes Gandalf!". One Last Time...
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