Sélectionné à Cannes et injustement boudé par le jury, Le Jour d’après, nouvel opus du prolifique Hong Sang-soo, prolonge sa fresque des vertiges de l’amour. Film aux accents de conte moral rohmérien, Le Jour d’après est peut être son film le plus sombre.


Un homme attablé avale son bol de soupe. Sa femme s’assoit en face de lui et l’interroge. Pourquoi part-il toujours à l’aube ainsi ? Elle le trouve amaigri et le soupçonne d’avoir une maîtresse. L’homme, au départ surpris, ne répond pas. Le silence presque insoutenable devant l’insistance de la femme qui attend sa réponse vient clore ce premier plan. La caméra cadre ce face à face en plan fixe, s’accordant quelques plans zoomés pour s’approcher tour à tour des personnages, sondant leurs tourments, leurs réactions, leurs gestes, résumant ainsi toute la magie de Hong Sang-soo en un plan simple et immense.


Bongwan (Kwon Hae-hyo) est éditeur et accueille Areum (Kim Min-hee) qui vient pour le poste d’assistante, tout juste libéré par son ancienne maîtresse. S’ensuit un tête à tête impudique où les questions intimes fusent entrecoupées de silence et d’émotion. On est bien chez Hong Sang-soo, plus proche de la rencontre amoureuse que de l’entretien d’embauche. La scène est d’ailleurs rejouée quasiment à l’identique à la fin, non pas comme une subtile variation qui rappellerait son précédent Un jour avec un jour sans, mais plutôt comme un train qu’on manquerait. Deux fois.


Hong Sang-soo aime raconter la naissance de l’amour, les triangles amoureux, les trahisons et l’ivresse salvatrice. Mais ici, si ivresse il y a (à son habitude, toutes les scènes ou presque se passent à table autour d’un verre), elle traduit davantage la confusion des sentiments qu’un échappatoire au réel. Bongwan est coincé entre sa femme et sa maîtresse, l’une lui reprochant ses mensonges, l’autre sa lâcheté. Quand Areum arrive dans sa maison d’édition, il n’a d’yeux que pour cette troisième femme (et nous aussi). Elle lui avoue ne pas croire au réel. Comment sait-on d’ailleurs ce qui est réel ou non ? « Je crois aussi que rien n’est vraiment grave, tout est merveilleux ».


Hong Sang-soo étire le temps autour de cette table où les bouteilles se vident laissant à Bongwan une trêve au cœur de son désordre amoureux. LE JOUR D’APRÈS se déroule en une journée mais peu importe le temps, cela pourrait être des semaines, des mois, le temps lui-même n’est plus réel et importe peu. Les scènes s’enchaînent tels des tableaux, dans un noir et blanc hivernal, nous perdant parfois un peu comme pour nous obliger à mieux ressentir l’essentiel, la vie qui les traverse, le trouble qui les habite. Difficile de ne pas voir la mise en abyme flagrante dans ce film. Hong Sang-soo, déjà habitué à choisir des personnages qui font écho à sa vie (souvent des réalisateurs) semble ici se livrer encore davantage quand on sait le scandale que sa relation avec la comédienne Kim Min-hee a suscité en Corée (il a quitté sa femme pour elle). Sauf que là, Kim Min-hee n’est ni la femme ni la maîtresse. Elle est le train manqué. La réponse à la question d’Areum (« Pourquoi vous vivez ? ») serait-elle finalement du côté de la vie ?


Par Anne Laure Farges pour Le blog du Cinéma

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le 13 juin 2017

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