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Je me souviens encore de ma première rencontre avec Alex de la Iglesia. C'était en 1996, dans un petit vidéoclub anonyme dans mon patelin.
A cette époque, les vidéoclubs s'occupaient principalement de faire de la location de films. On n'y trouvait pas vingt saveurs de chips différentes et deux fois plus de boissons sucrées en tout genre, ni de tabac, ni de toute autre sorte de conneries. Non, aussi étrange que ça puisse paraître, on y trouvait surtout des films! Et même mieux on y trouvait beaucoup de films différents, et pas 4 rayons de la dernière sortie à la mode s'alignant comme une armée prête à faire le siège de nos mirettes et de notre temps de cerveau disponible.


Donc, bref, j'arrive, et je me sens l'humeur d'un film d'horreur. Je tombe sur la pochette du film qui nous occupe, et je me dis tout de go qu'un film d'apocalypse avec le diable, c'est toujours rigolo. Je ne croyais pas si bien dire.
Faut dire qu'à l'époque, je ne m'étais pas vraiment attardé à lire le résumé de l'histoire, et je m'attendais plus à un The Omen espagnol qu'à la merveilleuse gaudriolerie auquel j'allais assister.
Un peu moins de deux heures plus tard, essuyant mes larmes, et calmant mes crampes d'estomac, toutes deux provoquées par le rire hystérique qui m'a saisi lors du visionnage (et peut-être aussi que certaines de ces larmes venaient d'une fin rondement menée, et plutôt dure à bien y réfléchir) , je sors enchanté de ma petite projection personnelle.


Mais qui est donc le taré (terme affectueux dans mon esprit) qui a pondu ce machin me demandais-je avec un certain sens de l'à-propos. Je découvre que son nom est Alex de la Iglesia, et que ce n'est pas son coup d'essai puisqu'il semble qu'il ait déjà commis un film passablement déjanté du nom de Action Mutante.


Il nous est tous arrivé de tomber par pure chance sur une petite pépite à laquelle on était pas tout à fait préparé, et c'est évidemment à chaque fois plaisant de passer d'une séance qu'on aurait pu croire molle devant un film anodin et inoffensif, à un truc qui vous prend complètement au dépourvu. Et bien, j'ai rarement eu une illustration aussi parfaite qu'en regardant le film de Monsieur de la Iglesia (dont je vous conseille également les autres réalisations qui ne sont pas forcément toutes à la hauteur de celle-ci, mais qui ne manquent jamais d'être au minimum sympathiques, et bien souvent plus que cela)


El Dia de la bestia est un film qui semble être l'illustration parfaite de l'esperpento, un genre à la base littéraire qui : "est caractérisé par le recours permanent au grotesque. Le grotesque se ressent à travers un goût certain pour le contraste et le mélange entre le monde réel et le rêve (ou le cauchemar). Entre autres caractéristiques de ce mouvement, il faut mentionner la déformation systématique de la réalité, la caricature, la moquerie et la satire, qui véhiculent une véritable leçon morale. Enfin, la mort y est omniprésente, au point de devenir un personnage à part entière."


Et du grotesque vous allez en avoir pour votre argent, alors que le prêtre Angelo, après avoir étudié minutieusement l'apocalypse de Saint Jean, découvre que l'antéchrist va naitre le soir de noël à Madrid. N'ayant malheureusement aucune indication sur le lieu de naissance, celui-ci, bien décidé à tuer le fils du diable au moment de sa naissance, décide de devenir un pêcheur tellement redoutable, qu'il pourra s'attirer la confiance de Satan en personne, et connaître le lieu de naissance de l'antéchrist. Petit à petit, le prêtre sera aidé dans sa quête par Jose Maria, un grand amateur de drogues psychédéliques et de musique métal, et par le professeur Cavan (au départ contre son gré), le présentateur charlatan d'une émission à grande audience faisant la part belle aux "mystères" et à l'étrange. Et voilà notre trio de rois mages de foncer à travers Madrid pour parvenir à empêcher la fin du monde.


Le coté fauché du film renforce encore le coté grotesque et over the top de l'histoire, et des personnages. Le réalisateur prenant un malin plaisir à jouer avec le manque de moyens jusque dans le scénario (la scène d"invocation" du diable est hilarante).


Le trio principal du film constitué des excellents Alex Angulo (le père Angelo), Santiago Segura (José Maria), et Armando De Razza (le professeur Cavan) est très à son affaire, donnant du corps, et même une humanité qui parvient à transparaitre à travers des personnages qui ne sont pas forcément des plus subtiles à la base, et font beaucoup pour assurer la réussite d'un film mené déjà tambour battant par son réalisateur. Tous les facteurs sont réunis, les étoiles sont alignées,... pour faire de El Dia de la bestia une réussite majeure de la comédie d'horreur que je classe sans rougir au coté des films d'Edgard Wright, ou des premiers films de Peter Jackson.


Si vous n'avez pas eu la chance de voir ce petit bijou, ne tardez pas trop, on ne sait jamais quand la fin du monde pourrait tomber.


NB: c'est assez intéressant de voir que le film eu un avalanche de nominations pour les Goya, l'équivalent des César espagnol. C'est peut-être la différence entre le cinéma espagnol, et celui de l'hexagone: je ne vois pas les César "s'abaisser" à nominer de multiple fois une comédie horrifique lors de sa prestigieuse cérémonie, ce qui est bien dommage, ça éviterait la multitude de films sérieux planplan qui sont sans doute plus présentables (et bien plus oubliables) que la pochade de de la Iglesia, mais qui manquent singulièrement de la folie, de l'originalité, de la fougue, quand bien même serait-elle excessive que ce film espagnol possède.

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le 31 juil. 2017

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Samu-L

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