Il est difficile de songer de sang-froid à ce que vaut vraiment Le Juge. Car il implique une dichotomie entre sa force et ses défauts comme on en voit rarement au cinéma.
Le fossé qui sépare les deux aspects - diamétralement opposés de par leurs qualités respectives - est large ; c'est un euphémisme. Du premier sont les incroyables facultés des deux acteurs éponymes : les deux Robert, Downey Jr. et Duvall. L'aîné campe remarquablement le père du cadet, avec une impassibilité sans faille. Il faut dire que son allure naturelle - rides prononcées, lèvres fermées, cheveux restants brossés vers l'arrière - l'avantage clairement. Tout de même, sa performance demeure remarquable, au même titre que celle de Downey Junior, considéré désormais aux yeux de tous comme Iron Man. En cela, Marvel a tout à la fois boosté et plombé sa carrière : outre les bénéfices financiers qu'il en a tiré, son rôle de super-héros lui a offert une exposition au grand public encore insoupçonnable une dizaine d'années plus tôt, notamment lors de son séjour de trois ans en prison. En même temps - Edward Norton se confiait récemment à ce sujet - la franchise l'a paralysé dans ce rôle-là puisque tous ses autres films, particulièrement lorsqu'il tient le premier rôle, ne peuvent plus êtres considérés autrement que comme une tentative de "cassage d'image". C'est à ce niveau-là que le film manque cruellement de personnalité ; Robert Downey Jr. et tous ses mimiques - figure placide, regard assuré, changement rapide d'expression - ne suffisant pas à évacuer la désagréable sensation que tout est articulé autour de l'acteur et qu'il est primordial de le faire briller, en toutes circonstances (comiques, tragiques, dramatiques...).
Or, le reste ne vient pas sauver l'ensemble : mise en scène des plus classiques, grain d'image affreux, musiques désuètes... Tout ici - d'un point de vue cinéma - sent trop le kitsch, le vieux et le cliché pour qu'on lui accorde quelconque place en 2014. Rien que l'utilisation du fondu (astuce passée de mode depuis bien longtemps) témoigne de cette superficialité formelle. Les réconciliations familiales, péripéties secondaires inutiles et déjà vues mille fois, et autres morales patriotes melo-dramatiques finissent par rendre compte de l'absence totale de propos inédit de ce conte poussiéreux, ancré dans l'Amérique "profonde". Le Juge tente bien de déployer quelques paraboles (celle où le père et le fils partent dans une direction opposée) mais elles sont toutes beaucoup trop appuyées ou incohérentes pour être considérées. Il mêle alors à cela des scènes très intimistes, imparfaites et parfois trop forcées mais qui - de manière surprenante - sont inévitablement touchantes. Son réel défaut réside en fait dans son ambition, bien trop haute - à la limite du film à Oscars - pour un objet de cette trempe. Le constat est sévère. Le jugement l'est aussi.