De l'arrivée du pathos au cinéma
J'ai énormément de respect pour l'oeuvre de Charlie Chaplin. Cet homme était assurément un maître dans son domaine, un visionnaire, avec une maîtrise parfaite de son cadre, de sa mise en scène et de son jeu compte tenu des limitations de son époque. Sa passion transpire de ce film et de ses autres que j'ai pu voir. C'est aussi quelqu'un qui a voulu aller toujours plus loin, se saisir de son média pour transmettre quelque chose de différent.
J'ai toujours eu un amour particulier à l'égard de ce film, quand bien même je ne l'avais jamais vu jusqu'à il y a peu, car j'ai sa magnifique affiche en poster dans ma chambre depuis ma tendre enfance. Et pas un petit poster tout pourri, mais un poster cartonné et tout, quelque chose de vraiment joli. Et cette affiche du coup, je l'ai toujours beaucoup aimée, petit j'aimais bien la regarder. Elle m'inspirait beaucoup de mélancolie émanant de ses deux regards, et j'ai toujours beaucoup aimé cela. J'ai attendu très longtemps pour le voir cependant, et je ne voulais vraiment pas en être déçu... Mais cependant, il n'a pas atteint les attentes que je plaçais en lui... loin de là même.
Je ne suis pas spécialiste du tout des oeuvres de cette époque, mais on s'accorde à penser que Le Kid est un précurseur de l'arrivée des émotions au cinéma. Et je le crois, la simple phrase d'accroche tend à le faire penser : "A picture with a smile - and perhaps, a tear".
L'exercice est donc particulièrement intéressant. Comment raconter une histoire tout en faisant ressentir des émotions à son spectateur, alors qu'on est à ce point limité par le muet ? Chaplin utilise alors de nombreuses mécaniques qui fonctionnent véritablement, et le statut de "film culte" ne m'étonne absolument pas.
... Du moins, ces mécaniques fonctionnaient parfaitement en 1921. En 2014, je suis un petit peu plus dubitatif. Attention, je ne remets en aucun cas les qualités du film en cause, et certainement pas en question sa réception à son époque, que je juge plus que normale. Je m'interroge en revanche sur la réception auprès des spectateurs le découvrant de nos jours.
Les mécaniques utilisées par Chaplin dans Le Kid sont très simples, et seront finalement utilisées dans tous les films lui ayant succédé. Ces mécaniques, utilisées à outrance dans les films de type pathos-tire-larmes, en deviendront même particulièrement clichées avec le temps. Je trouve que sa nature même de précurseur nuit au film, tellement les ficelles sont apparentes pour le spectateur d'aujourd'hui : les gros violons au moment tragique, les gros plans sur les pleurs des enfants, l'accent mis de manière exagérée sur les situations de misère et d'injustice pour que le spectateur soit en empathie...
Encore une fois, ces mécaniques sont parfaites pour un film muet, et permettent de vraiment jouer avec les contraintes de manière intelligente. Les chaumières de l'époque ont du être inondées tellement on a du y pleurer (ah, on m'informe que ce n'est pas possible, les films se regardaient au cinéma à l'époque, au temps pour moi).
Mais de nos jours, en toute honnêteté, je trouve ça un peu hypocrite de vanter les mérites des émotions de ce film, de le hisser au sommet de l'Olympe, au sommet presque du top 111, tout en crachant parallèlement sur tous les autres films pathos avec du tire-larme. Le tire-larme du Kid n'est pas du tout condamnable c'est certain, contrairement à son usage abusif dans les films contemporains, mais j'ai du mal à croire que le Kid puisse faire pleurer de nos jours. Ou du moins, pas pleurer ceux qui se plaignent du tire-larme habituellement.
Quand je lis dans les différentes critiques des avis disant par exemple que "ce film m'a bouleversé", "ce film m'a fait aimer le film muet", "ce film m'a fait pleurer toutes les larmes de mon corps"... j'avoue ne pas comprendre. Je me sens vraiment à l'écart de tout ça.
J'en suis le premier déçu, mais j'ai trouvé que Le Kid manquait de finesse, qu'il était très manichéen dans sa structure : il y a l'injustice, la société, et il y a notre petit pauvre au grand coeur et son enfant tout mignon. Et du coup, tout ceci rajouté aux mécaniques devenues habituelles à présent, ça m'a rendu assez hermétique au côté émotionnel du film. Même si je l'ai trouvé plutôt mignon, tout de même.
A côté de cela, le contenu même du film (pour le faire durer plus d'une heure, challenge de l'époque) me donne un petit sentiment de remplissage. Aussi, par exemple, tout le passage avec le grand frère n'apporte rien au film. Rien dans sa narration, rien dans son émotion, et rien dans son humour de mon avis très subjectif car l'humour venant des bagarres je le trouve assez vite répétitif (et vu que j'ai vu plusieurs Chaplin cette année, je n'ai pas été surpris par cette scène).
D'ailleurs, là où j'étais absolument mort de rire devant Les Temps Modernes, le Kid ne m'a fait que sourire, et plutôt rarement. C'est une légère déception, car le propos du film ne se trouve pas tant dans le rire que dans l'émotion.
Assurément cependant, Le Kid a un certain charme. Certainement le charme venant de son époque, de son style, et le charme émanant de Chaplin de toute évidence. Sans parler même de l'enfant, très charmeur, et très bon acteur d'ailleurs.
Mais au delà de cela et de l'exploit à l'époque, je ne trouve rien de bien marquant dans ce film. Il est toutefois très sympathique, se regarde avec plaisir sans se prendre la tête, est mignon tout plein, mais ça s'arrête un peu là. A voir tout de même, rien que pour sa culture, mais je ne comprendrai jamais je pense les réactions citées plus haut chez les spectateurs le découvrant de nos jours. C'est un beau film, un film culte dans l'histoire du cinéma, transcendé par la maîtrise de son réalisateur, mais c'est surtout un film qui a vieilli. Là où de nos jours il faut jouer avec beaucoup de finesse pour procurer des émotions tant les ficelles ont été usées jusqu'à la moelle, ce précurseur qui utilise ces mêmes ficelles de manière très simplistes ne peut que souffrir de la comparaison. En l'état à mes yeux cela ne fonctionne pas, ou plutôt cela ne fonctionne plus, car Le Kid est loin d'avoir la force de ses meilleurs successeurs dans le même registre. Cette critique n'a de valeur que rétrospectivement, et ne doit absolument pas être faite envers le travail de Chaplin qui, a son époque, tenait tout simplement du génie.