L’autoportrait de l’artiste est non seulement une tarte à la crème de la création, mais c’est aussi et surtout un terrain miné : dans la mesure où celui-ci parle toujours peu ou prou de lui à travers son œuvre, l’explicitation peut virer à la redondance, voire au nombrilisme pénible. Michel Gondry a déjà parlé de lui, ou du moins de ses proches à travers certains documentaires, et son éloge de l’imaginaire (Eternal Sunshine of the Spotless Mind) ou de la créativité (Soyez sympa, rembobinez) à travers les usines foutraques et profuses à idées nous a déjà donné un portrait assez précis du bonhomme et de son rapport euphorique à l’inventivité.
C’est cependant sur la fragilité que va se construire cet autoportrait, voyant le personnage incarné par Pierre Niney s’enfuir du studio avec les rushes d’un film renié par ses producteurs, et reculer le plus possible le moment où il faudra s’attaquer au montage, jusqu’à rédiger un livre des solutions visant à répondre à chaque problème rencontré. En décalage permanent avec les exigences du milieu, le créateur est un électron libre aussi attachant qu’insupportable, notamment dans ce qu’il fait subir à ses proches collaborateurs ayant eu la mauvaise idée de le suivre. Et sur le terrain de la comédie, la collaboration entre Gondry et Niney fait clairement des merveilles, la créativité décalée du premier s’incarnant parfaitement dans l’interprétation lunaire et bancale du second, qui s’en donne à cœur joie pour poétiser le monde. La post-production du film est ainsi une improvisation permanente, ménageant son lot de scènes hilarantes, dont la rencontre avec une star de la musique ou la conduction d’un orchestre par des méthodes inédites. Son interaction avec les personnages secondaires (Blanche Gardin qui tente de juguler son énergie, mais aussi la figue si importante pour Gondry de la vieille tante en la personne de Françoise Lebrun) compose une petite communauté à la marge du monde et dans laquelle il pense, un temps durant, pouvoir le recréer avec suffisamment de fantaisie pour pouvoir le supporter.
Cette humanité permet à la comédie d’investir des territoires plus intimes, et de sonder, sous la surface du créateur fantasque, des profondeurs autrement plus douloureuses. Gondry ne sublime pas sa propre histoire, en évoquant explicitement la maladie mentale, et les effets liés à l’arrêt du traitement, jusqu’à certaines descentes asphyxiant l’inspiration ou la conduisant dans de véritables abymes.
Si la dernière partie, évoluant vers la romance, perd un peu de sa singularité, la question centrale de la création (d’une œuvre, d’un couple, de la vie) reste fébrile et teintée d’une inquiétude vivace. Le final, renvoyant à la réception du public et la terreur que sa réaction peut susciter chez l’artiste, fut l’un des beaux moments de la Quinzaine des cinéastes, où une salle conquise prit le relai du public fictif pour saluer la poésie festive d’un cinéaste équilibriste au-dessus du gouffre.