Perdre à dix-sept ans son père dans un accident de voiture survenu dans des conditions si bizarres qu'on peut y voir une volonté suicidaire, il y a de quoi déstabiliser l'ado au mental le plus solide. Le film écrit et mis en scène par Christophe Honoré raconte, par la bouche ou voix off de Lucas, comment ce lycéen de dix-sept ans, interne à Chambéry, se remémore ce temps tragique où il apprend la mort de son père et comment il vit cette catastrophe durant les jours et semaines qui suivent, son frère aîné Quentin lui proposant, avec l'assentiment de sa mère, de venir, juste après l'enterrement, passer une semaine chez lui à Paris, où Quentin, qui est artiste-peintre (je crois) vit depuis deux ans. À Paris, Lucas sympathise avec, et éprouve de l'attirance pour, le room-mate de Quentin : Lilio, 29 ans, qui a sa vie à lui et le remet gentiment à sa place. Arrivent alors un certain nombre de péripéties...
Christophe Honoré a du métier, son scénario est bien écrit, bien filmé (il y a de très jolis plans, par ex. celui qui capture les rayons d'un fort soleil matinal striant de lumière un petit cimetière alpin).
L'histoire se partage entre la Savoie et Paris, ce qui lui donne des décors extérieurs et un environnement général photogénique et très agréable.
Le casting est bon, bien que j'eusse préféré pour le rôle et la crédibilité de la mère une actrice plus discrète, moins vue que Juliette Binoche (par exemple, Suzanne Clément qu'on connaît de certains films de Xavier Dolan). Quentin, c'est Vincent Lacoste et il endosse le rôle de façon plutôt convaincante. Lucas est hyper bien casté en la personne de Paul Kircher qui a à peu près l'âge du rôle : 17 ans et qui, au fil du film, crève véritablement l'écran. Lilio est joué avec sensibilité par un acteur noir que je ne connaissais pas : Erwan Kepoa Falé, tandis que le père de Lucas et Quentin, qu'on voit quelques minutes en début de métrage, est interprété par le réalisateur lui-même (Who else ?).
Formellement, le film est très beau. Techniquement, il est très bon et archi-soigné. Pour ce qui est du fond, c'est du Christophe Honoré. Je suis loin d'être bégueule, mais certaines scènes, certaines pratiques m'ont, non pas choqué, mais gêné. Gêné pour le jeune Paul Kircher, pour le jeune lycéen français qu'il représente, pour l'image de notre "douce France". Je crains que cela ne stimule encore l'homophobie largement répandue dans l'esprit des populations (ou communautés) archaïques du pays. Apparemment, Christophe Honoré en a jugé autrement. Bon. Son film vise à l'oeuvre d'art, et l'art a toujours été synonyme d'audace et de liberté. Libre à lui, donc.
On entend à mi-film un tube de Sylvie Vartan très marqué début seventies. Il résume assez, d'un point de vue scénaristique, l'argument, le déroulement et le côté un peu "midinette" du métrage, particulièrement ce passage :
Par le malheur on est souvent frappé,
Mais l'amour seul peut nous sauver
Tout m'entraîne, ir-ré-sis-ti-ble-ment vers toi, comme avant !
Tout m'enchaîne, ir-ré-sis-ti-ble-ment vers toi, je le sens !
Au moment où l'on croit que tout se meurt
L'amour revient en grand vainqueur.
Par définition, on ne résiste pas à un sentiment amoureux irrésistible. Le Lucas du film, se sentant finalement aimé, reprendra goût à la vie, au grand soulagement de sa mère et de son frère aîné.
On lit partout que Le Lycéen est un des films les plus personnels de Christophe Honoré, parce qu'il l'a construit autour de la mort de son père, décédé, alors que lui n'avait que quinze ans. J'ai quand même l'impression que la part de fiction de l'opus est assez grande et très travaillée... C'est une oeuvre riche, complexe, pleine d'évènements et de "virages". On ne s'y ennuie pas. Elle m'a remis en tête le poème de Rimbaud : On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans. C'est un âge de la vie, celui du Carpe diem, où on est capable de faire toutes les conneries du monde, quitte ensuite à s'en mordre les doigts. Pourtant, Christophe Honoré a l'air de se porter comme un charme et si Lucas est très inspiré de ses dix-sept ans, on se demande par quel lent miracle le Ganymède d'alors a pu petit à petit se muer en une sorte de Jupiter triomphant.
Je conclus. Le Lycéen est un film beau et bien fait, qui heurte de front la morale traditionnelle. Le naïf qui suivrait au pied de la lettre sa leçon implicite s'exposerait, je le crains, à de graves mécomptes dans la vie réelle.