Le long fleuve sauvage de la vie
Baptême du feu pour Kazan alors metteur en scène au théâtre. Drame social à première vue (la vie d'une famille très modeste dans le Brooklyn de début de vingtième siècle qui essaie de s'en sortir), le film se transforme petit à petit en un conte familial centré sur l'ainé des deux enfants du couple, la jeune et brillante Francie.
Férue de littérature, toujours volontaire pour aider sa mère dans les tâches ménagères, complice avec son frère et sa tante, elle ne recherche que le bonheur de sa famille qu'elle aime tendrement. La petite n'a pas encore 10-12 ans. Mais c'est de son père qu'elle est la plus éprise. Ce dernier, un serveur-chanteur un peu rêveur, le lui rend bien : il exaucerait le moindre de ses vœux. Et c'est ce qu'il fera. Faisant fi des usages, il inscrira sa fille à la belle école située derrière le marché. Lorsqu'il mourra elle devra composer avec sa mémoire et sa mère dont elle s'est éloignée, celle-ci incarnant le versant responsable (et donc tristement réel) de la famille (elle la porte à bout de bras). Elle sera pourtant là pour elle quand sa petite sœur viendra au monde. C'est normal, elle est la fille de ses parents, leur fruit, la chimère de l'imaginaire de l'un et de la réalité de l'autre. Ce dont les contes sont faits.
Pour un premier coup, c'est tout bon. C'est loin des chef-d’œuvres du bonhomme mais bien au-dessus de certains de ses films. Kazan filme le quartier comme une ruche où fourmillent les enfants, les tramways, les commerçants, les policiers, les voisins. Lucie apprend la dureté de la vie trop tôt. Sa famille s'en tirera finalement et s'élèvera, comme le lys élagué au début du film, à l'arrivée du printemps. Il parle bien-sur du rêve américain (bien que la partie conte prévale je trouve). Les acteurs sont tous excellents (la direction d'acteur de Kazan n'a jamais eu son égal), la jeune Peggy Ann Garner (Lucie) et la sublime Dorothy McGuire (la mère, future habituée du réal) en tête.