Ah tu vas nous manquer… Ton sourire de frimeur, ton assurance, ta volubilité, et ces fabuleuses tirades, souvent hilarantes, dont tu avais le secret.
Connu dans le monde entier, tu as inspiré bon nombre de personnages et d’artistes, qu’il s’agisse de Tarantino qui a toujours reconnu l’influence qu’avaient eu tes films sur sa culture, du DJ français Christophe Le Friant qui a pris pour pseudo le nom de ton Magnifique, ou encore de Jean Giraud et Jean-Michel Charlier qui s’étaient inspirés en partie de toi pour créer leur Blueberry. Buichi Tarasawa a même imaginé son célèbre personnage de dessin animé Cobra en lui donnant tes traits et ton style si reconnaissables. Tu étais le plus illustre français, un modèle à travers les époques, les pays et les cultures.
S’il n’est pas le meilleur de tes films, Le Magnifique reste parmi les plus célèbres. Ne serait-ce que pour son titre qui te va si bien. Impossible d’oublier ce double-rôle si savoureux, la maladresse de ton François Merlin, l’héroïsme absurde de ton Bob Saint-Clare, le bellâtre arrogant et narcissique. Deux stéréotypes que tu interprétais avec assez de distance pour en plaisanter. Et cette mise en abime du métier d’auteur, la frustration du petit écrivaillon qui se venge sur tous ses petits bourreaux du quotidien en les projetant dans ses histoires pour mieux les dézinguer dans des gerbes de sang grand-guignolesques et autant de clichés absurdes. A la fin, tout le monde y passe, dans un délire trash et impolitiquement correct qui reflète l’état d’esprit froissé d’un homme loin des autres et qui ne vit plus que dans son imagination. Un personnage très loin de ce que tu sembles avoir été.
Sûr en tout cas qu’un film comme ça ne sortirait plus sur les écrans aujourd’hui, c’est déjà un miracle qu’il ait échappé aux ciseaux de la cancel culture. Car personne ne peut ignorer l’influence qu’a eu cette parodie bondienne sur bon nombre d’autres films (les OSS 117 de Dujardin bien sûr, le Dr Wai de Jet Li, le Hudson Hawk de Willis pour sa tonalité absurde, le Last Action Hero de Schwarzy pour sa mise en abime hollywoodienne et même les plus récents Van Johnson/Dernier mercenaire de Van Damme pour leur auto-dérision significative).
Bien sûr, personne n’a jamais été dupe, le Magnifique du film ce n’était pas Bob Saint-Clare, ça a toujours été toi. Nos parents le savaient et te surnommaient volontiers Bébel, en allusion au Pépel de Gabin dans le film Les Bas-fonds, mais aussi pour ta propension à briller dans chacun des films comiques et policiers que tu alignais dans les années 70 et 80. Des films qui t’allaient comme autant de qualificatifs : Le Marginal, Le Solitaire, L’Incorrigible, Le Guignolo, Le Professionnel, L’As des as… Grand roi du box-office, ton nom surmontait fièrement et régulièrement les affiches principales des cinémas de l’époque. Et le spectateur avait toujours plaisir à retrouver tes ami(e)s Marie Laforêt, Miche Beaune, Charles Gérard et Claude Brosset pour te donner la réplique. Avant que ta carrière ciné ne décline doucement vers la moitié des années 80 au détour d’un dernier Hold-up et d’une enquête en solitaire et que tu choisisses de privilégier les planches au grand écran, non sans avoir emprunté l’Itinéraire d’un enfant gâté.
Bien sûr, tu restes le seul monstre du cinéma français à avoir été assez fou pour exécuter la plupart de tes cascades. N’importe quel prétexte scénaristique était bon pour te permettre de t’accrocher à un hélico, te pendre à un lustre avec une corde, descendre en rappel sur le toit d’un immeuble ou rouler à toute berzingue dans les rues de la cité phocéenne, le sourire aux lèvres. Tom Cruise aura beau se vanter un jour d’être le premier acteur à avoir fait un triple salto en motocross sur la lune, toi tu resteras le seul, le vrai, à avoir vraiment donné des sueurs froides aux producteurs et aux assureurs. Tu es aussi un des rares à avoir pu échanger quelques bourre-pifs avec le grand Lino tout en en plaisantant volontiers, te saouler avec Gabin tout en dissertant avec lui sur la vie, dévaliser un convoi en compagnie de Bourvil tout en te moquant du « truand » Wallach, sauver Raquel Welch et Jacqueline Bisset du danger, et même jouer à pile ou face avec ton éternel rival Delon pour au final te prendre une rafale de balles à sa place. Ne manquait plus en fait qu’un autre géant comme De Funès pour te donner la politesse de quelques répliques cultes.
Je me souviens aussi de toi à la télé quand j’étais plus jeune. Au cours d’une interview pour la promotion d’un disque de ton amie et compagne Carlos Sotto Mayor, tu plaisantais volontiers, un cigare aux lèvres et avec ta verve habituelle, aux côtés de Coluche et Boujenah, faisant le show à toi tout seul, sans que même Coluche ne puisse nous faire rire plus que toi. Impossible de ne pas te voir briller à l’époque, même à la table de deux autres vedettes. Impossible aujourd’hui, de ne pas penser à toi et de ne pas te regretter.
Tu étais le magnifique, le seul, l’irremplaçable… Jean-Paul Belmondo.