Le film de Hamaguchi n'est pas le film auteurisant et creux comme certains aiment le caricaturer (Réaliser sans Trucage). Sans être populiste, il y a quelques moments comiques qui ont su faire rire la salle. Et c'est surtout un modèle de ce que le cinéma contemporain peut faire de mieux.
Le mal n'existe pas reprend avec modernité des grands thèmes fordiens encore d'actualité comme l'intégration de l'étranger dans la communauté. Comme Hamaguchi, nous voyons avec des yeux étrangers cette nature japonaise et c'est de là que vient le mystère. Le mystère provient de notre regard sur cet inconnu. Il y aussi ce montage godardien arythmique qui accentue notre malaise et notre désorientation. Désorientation qu'à l'air de partager le personnage principale tête en l'air. "Tu oublies tout" lui rabâche son pote, et il se rappelle d'aller chercher sa fille grâce aux tirs des fusils de chasse comme si c'était le glas des églises qui sonnent pour donner l'heure. Hitoshi Omika joue un personnage renfermé et teigneux, homme à tout faire, liant de la communauté et sorte de sheriff protecteur un peu à la John Wayne (on revient encore et toujours à Ford). Il a un rapport perturbant avec la mort, entre ces bruits de coups de feu, ces cadavres d'animaux, les disparitions de sa fille, sa femme morte. C'est un revenant qui traverse le cimetière d'un passé hors champ. Et la question est : est ce que ce fantôme va s'ouvrir et par la même occasion ouvrir la communauté aux tokyoïtes. D'un pessimisme violent, les plaies sont encore ouvertes et l'homme n'est pas prêt à accueillir.
A la fois concret dans ses thématiques (politiques, économiques et écologiques), le film l'est aussi dans sa mise en scène. Dans un plan, on voit un aqueduc et alors là les paroles du vieux maire résonne "les gens d'en haut sont responsables des gens d'en bas". Et la merde qui va être déversé dans l'eau nous est sensible par ce plan. Ce n'est qu'un exemple, mais le mystérieux ne vient ni d'une contemplation bourgeoise d'un nature sauvage et belle et encore moins d'un flou narratif mais bien de cet netteté du cadavre d'oiseau, de cette rugosité du bois durant l'hiver, des épines des arbres, de cette flaque d'eau qui est le lieu de rassemblement des cerfs, et des plumes qui ne sont pas des métaphores de liberté mais des futurs instruments de musique. Hamaguchi fait le choix du palpable, du regard franc et le mystère provient de notre ignorance comme le personnage du citadin qui a besoin d'éclaircir le mystère, qui doit voir et comprendre, toucher le bois et récupérer l'eau du ruisseau.