Aube d’orée
Revigorante rupture que celle opérée par Ryusuke Hamaguchi : après des films volontiers verbeux et littéraires, explorant les complexes oscillations des rapports humains et amoureux, Le Mal n’existe...
le 14 avr. 2024
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L’ambiance du film est captivante, on rentre entièrement dans l’athmosphère de ce village de montagne. On suit principalement Takumi, l’homme à tout faire du village, et Hana, sa fille. Les deux partagent de beaux moments de complicité ensemble. Takumi oublie toujours de chercher Hana à l’école, alors elle commence à rentrer toute seule à travers la forêt (sans panier pour sa grand-mère), et son père la rattrape sur le chemin. Cette situation donne lieu à un plan magnifique : lors d’un long traveling, on suit Takumi marcher dans la forêt enneigée, un peu obstrué par des arbustes. La caméra passe alors derrire une butte qui cache la vision pendant un certain temps, ce qui colle très bien avec le côté réaliste du film. Lorsque la vue sur Takumi nous est rendue, il porte Hana sur ses épaules. Il continue de marcher en parlant des arbres qu’il y a autour, très naturellement, avec le traveling rapide qui continue et les branches qui défilent. On ressent très bien la liberté et le bonheur des deux personnages à ce moment.
La contemplation de la nature est en effet un des atouts du film : les plans sur le soleil à travers les arbres (ou komorebi en japonais, ce spectacle que le vieux dans Perfect Days de Wim Wenders capture tous les jours avec son téléphone) sont très beaux, notamment car ils sont longs et en mouvement : la lumière se cache et réapparait. C’est en plus une lumière très douce, comme si la golden hour durait toute la journée dans ce village. La neige aussi occupe très bien l’espace et fait ressortir encore plus les personnages et les cerfs. Les plans où l’on s’accroupit pour ramasser de l’eau de source et la verser dans des bidons sont à l’image de cette activité : calmes, longs, contemplatifs. Particulièrement pendant ces plans, on est immergé par l’ambiance sonore : les seuls bruits ou presque sont ceux de l’eau.
L’ambiance sonore du film plus globalement est très réussie : on se retrouve souvent seul dans la nature, avec les bruits des pas et le silence autour. Quand ce n’est pas le silence qui règne, c’est la musique qui le remplace, et la musique prend pile la place qu’il faut, elle nous fait un peu rêver sans nous rappeler pour autant qu’on est devant un film. Sauf à deux moments où le réalisateur choisit de nous rappeler clairement que tout est faux : la musique s’arrête brusquement lorsque Takumi passe de marcher seul à marcher avec sa fille. Cette transition brusque marche très bien, et on oublie vite qu’il y avait de la musique y a quelques secondes. A la fin, des messages sonores sont diffusés dans des hauts parleurs dans tout le village, comme à Disneyland ou au supermarché. Cette nouvelle ambiance sonore nous amène presque à nous demander si la musique lors du film n’était pas parfois réellement présente et non ajoutée.
En plus du moment où Takumi et Hana rentrent ensemble, il y a une très belle scène où Takumi dessine et Hana l’embête. Ils ont l’air d’une famille parfaite, qui s’amuse ensemble sans embêter l’autre, se comprend et tient à l’autre. Ils m’ont d’ailleurs un peu rappelé les héros de Aftersun. Si on les voit un peu ensemble, on voit surtout les deux séparément. Hana est à l’école la journée, son père oublie de la chercher, et elle vit sa vie seule dans les champs. Sa solitude est un peu exagérée et dure à comprendre je trouve, on pourrait facilement imaginer que d’autres enfants rentrent avec elle ou que la dame de la garderie la garde avec les autres en attendant son père. Hana manque un peu de profondeur je trouve, ses scènes paraissent être des inserts dans un film sur son père. On ne comprend pas vraiment pourquoi elle passe son temps seule avec des animaux, pourquoi on ne la voit pas une seule fois communiquer avec un autre enfant. On comprend quand même qu'elle se sent proche du monde des adultes dont elle est séparée : lors d’une réunion des villageois avec deux tokyoïtes pour discuter d’un projet de camping de luxe, Hana entrouvre la baie vitrée pour écouter, et observer son père : on la lui referme. La relation entre Hana et le chef du village est mignonne : elle cueille des plumes qu’elle lui offre, et lui la remercie en lui déconseillant de s’aventurer dans les champs – son chemin pour rentrer à la maison, oubliée par son père. On peut aussi imaginer que l'absence de sa mère la pousse à se renfermer sur elle-même, mais j'aurais aimé un personnage plus compréhensible et réaliste qu'une fille un peu bizarre et seule qui parle aux animaux.
Quelque chose qui m’a beaucoup plu est le fait que certains éléments scénaristiques sont évoqués asans devenir trop importants et nuire au réalisme des personnages. Je pense à deux choses : l’absence de la mère, qui peut ou non interroger le spectateur, aurait pu devenir un fardeau. On comprend qu’elle jouait du piano, et il y a un gros plan sur une photo de la famille avec la mère – le gros plan était déjà de trop pour moi, je pense qu’on aurait compris seulement avec Hana qui demande au chef du village « Vous jouez du piano ? » d’un air émerveillé suivi de Takumi qui se recueille près du piano familial poussiéreux. Mais après cela, on ne revient jamais sur cette mère. Pareil avec le rapport de Takumi à l’alcool : il ne boit pas, et il est assez ferme à ce sujet. On s’en rend compte deux fois : lorsqu’ils rentrent ensemble lui et sa fille, il lui explique qu’avec le ginseng on peut faire une sorte de vin, elle répond « ce n’est pas pour toi alors ». Cela suffit pour qu’on s’en rappelle au moment où deux tokyoïtes lui offrent une bouteille qu’il refuse strictement, même pour offrir à quelqu’un d’autre après. Cela pourrait avoir un rapport avec la mère, c’est ce que je me suis imaginé, mais on nous apporte pas plus d’explication et c’est très bien comme ça. Bon, cette non lourdeur est plus une absence de défaut qu’une qualité en soit, mais ça m’a fait plaisir.
Le seul côté négatif pour moi est la fin, à partir du moment où les tokyoites coupent du bois, où les bronzés font du ski. Leur reconversion en villageois est trop rapide, les dialogues pas très subtils (« j’ai adoré coupé du bois, je n’avais jamais ressenti ça »). La toute fin aussi m’a un peu surpris, on aurait dit que Hamaguchi avait peur qu’on se soit ennuyé et voulait rajouter de l’action pour pas qu’on puisse dire qu’il ne se passe rien dans le film. C’est dommage et je n’ai pas vraiment compris le sens de cette fin, mais au moins elle donne lieu à de belles images.
Enfin, ce que je garderai de ce film est surtout des moments d’échange entre des humains très réalistes, qui donnent presque une impression de documentaire (l’échange entre les villageois et les tokyoïtes n’est pas coupé, on y assiste/participe en entier, aucune intervention n’est coupée), ou de scènes un peu « behind the scene » que le réalisateur aurait oublié de couper (l’échange entre les deux tokyoïtes dans la voiture, touchant de réalisme et de sincérité). Les échanges entre Takumi et Hana sont pareil. Ce côté là m’a énormément plu et m’a rappelé Contes du hasard.
En conclusion, un excellent film, dont la lenteur est la sincérité est à l’image du hameau qu’il filme et de ses habitants. J’attends le prochain avec impatience.
Créée
le 25 avr. 2024
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