Aku wa sonzai shinai confond les genres et les focalisations suivant une logique soustractive, retranchant au polar son jeu de pistes et sa résolution, à la fable environnementale sa célébration naïve de la nature, au combat écologiste son manichéisme, et orchestrant la valse des convictions personnelles : les deux représentants de la firme soucieuse d’implanter le glamping, d’abord incarnation d’un marketing où l’être rime avec le paraître, évoluent au point d’envisager une reconversion écoresponsable ! L’entreprise esthétique et narrative poursuivie par le cinéma de Ryūsuke Hamaguchi est, en effet, le dialogue entre des interlocuteurs étrangers les uns aux autres mais qui cherchent à se comprendre voire à s’apprivoiser sans jamais pourtant lever le voile de l’opacité et de la complexité tourmentée de l’existence humaine. La mise en scène veille à concilier ce qui sinon demeure distinct, rassemble le haut et le bas, l’avant et l’arrière, en témoignent les mouvements descendant de la cime des arbres en direction du sol ou les plans captés depuis la banquette arrière d’une voiture, figurant la thématique ici centrale d’une réflexion sur la place de l’homme dans l’univers et sur son rapport au mal : ce dernier vient-il d’un dieu quelconque ? découle-t-il d’une source commune à tous les êtres vivants ?
La caméra de Hamaguchi multiplie les images d’ascension et de descente, symbole d’une routine tranquille et fluide, en harmonie avec une nature aussitôt schématisée (par la réalisation) aussitôt raccordée à sa cruauté profonde (par la réalisation et par le scénario), avec la répétition du coup de feu et du travelling dans un enchaînement de la présence – le père a retrouvé sa fille – vers l’absence. Défini comme un « guide » et comme un « conseiller », Takumi apparaît sous les traits de l’homme naturel, de l’homme vivant en dialogue avec la nature, jusqu’à ce que ce rôle soit contrebalancé par un rappel de son ignorance : il juge les attaques de cerfs « improbables », alors qu’elles auront raison de son enfant… Il n’est, après tout, qu’un « étranger » parmi d’autres étrangers composant la population d’une terre n’appartenant à personne. L’agression de Takahashi montre alors la lutte d’un homme avec lui-même, raccordé malgré lui à son errance et à ses erreurs de jugement.
Magnifiquement photographié, Aku wa sonzai shinai est un chef-d’œuvre d’intelligence et de poésie, qui soustrait au lieu d’accumuler, qui ouvre un espace d’interprétation pour mieux sonder les méandres de l’âme humaine.