Dans la veine pessimiste typique du nouvel Hollywood, comme il avait pu le faire dans le troublant Fat city, John Huston livre avec Le malin un portrait au vitriol de la lose à l’américaine. Dissection en profondeur d’âmes délaissées, errantes dans une société qui n’a plus de place pour elles. L’occasion pour l’auteur d’atomiser la nature humaine en illustrant ses paradoxes les plus vils par l’intermédiaire d’une étude de personnages dont la portée symbolique n’épargne personne.

En faisant d’Hazel Motes, soldat démobilisé, traumatisé par les sermons de son grand père évangéliste, un être sans repère et moralisateur qui s’engage à son tour dans le retournement d’esprit en devenant prêcheur lui même, Huston illustre le côté versatile de l’être humain. Pourtant intègre, motivé par sa vérité, son personnage fort en gueule ne peut s’empêcher d’emprunter le chemin qu’il s’époumone à dénoncer. Pour contrer ce discours religieux qui place le christ comme celui qui a racheté les fautes de l’humanité, il relaye à son tour une contre religion identique à celle qu’il dénonce, allant jusqu’à endosser le rôle de martyr qu’il essaye pourtant de déconstruire.

Sous les traits de ce prêcheur versatile, on retrouve l’oisillon perdu de Vol au dessus d’un nid de coucou. Brad Dourif trouve ici l’un de ses rôles les plus marquants, complètement habité par le désespoir qui permet la construction de son personnage. Son regard possédé, qu’il partage à loisir avec des seconds rôles très incarnés également — superbe duo Dean Stanton / Amy Wright en tant que père prêcheur escroc et fille paumée bien allumée et amusant Ned Beatty en escroc inspiré — permet à Huston de jouer la carte du désespoir social sans jamais la nuancer. Chaque être peuplant Le malin est frappé par une solitude si vicieuse qu'elle les empêche de se construire tout repère. Leur dernier espoir, s’accrocher aux électrons désaxés qui se heurtent au même vide qu’eux pour essayer de vivre leur peine au moins à deux.

Résultat, quand la seule personne incarnant un semblant de stabilité, à savoir la logeuse aux idées claires, laisse éclater à son tour le désespoir de sa solitude, lors d’un dernier acte noir en diable, Le malin sombre définitivement dans une détresse absolue. C’est dans cette optique que Huston achève son propos, par une fin typique des années 70, brusque et sans compromis.

Désarmant par son ton changeant, sa mise en scène dépouillée au maximum et ses cadres oppressants, Le malin partage le spectateur entre mélancolie et sourires fébriles. Film peu évident à appréhender, qui fascine par l’écriture sans concession de ses personnages, et déroute dans le même temps par la lenteur avec laquelle Huston y déroule son propos. Œuvre exigeante, envoûtante, du genre à laisser des traces, y compris chez ceux qui l’auront rejetée, elle vaut le coup de la découverte pour quiconque apprécie les séances un peu singulières.

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oso
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le 14 sept. 2014

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