Sorti en 2019 et réalisé par James Mangold, Le Mans 66 est un film qui divise ... Pour certains, c'est sa propension à s'arranger avec la "vérité historique", pour les besoins du spectacle, qui dérange. Lorsqu’on aborde un film historique, on s’attend à ce qu’une certaine véracité émane de l’œuvre. Bien sûr, en fonction du sujet, on se doute bien qu’une partie, plus ou moins grande, sera romancée. Par exemple, tout le monde sait qu’il y a énormément de fiction dans un film comme Gladiator de Ridley Scott. De même, nul besoin d'être un expert en compétitions automobiles des années 50-60, pour se douter que les faits rapportés en ce qui concerne le déroulé de cette passe d'armes entre Ford et Ferrari sur les circuits internationaux, parmi lesquels Le Mans, sont plus romancés que fidèles à la réalité.

Alors, la question mérite d'être posée et certains ne se gênent pas pour le faire : peut-on critiquer Le Mans 66 sur ce seul motif de s'arranger avec la "vérité historique" ? Personnellement, je trouverais ça injuste au regard de la construction dramatiques du récit qui est un modèle du genre. En effet, pour James Mangold la rivalité entre Ford et Ferrari dans les années 50-60 n'est qu'un prétexte pour développer deux axes de narrations plus importants. Tout d'abord, vous avez l'amitié entre deux hommes Carroll Shelby (Matt Damon) et Ken Miles (Christian Bale) dont les destins seront liés par la même soif de succès. Ensuite, vous avez la confrontation entre deux visions opposées du sport automobile, la passion de Carroll Shelby et Ken Miles contre la cupidité des hommes au service d'Henry Ford II.

Le film s'ouvre sur un échec, celui de Carroll Shelby au Mans en 1959. Mais c'est aussi la désillusion d'un homme qui, pour cause de santé, est contraint de stopper sa carrière de pilote. Il se lance alors dans un projet fou, devenir le préparateur, puis un constructeur de voitures de sport et de courses vouées aux victoires. Dans son obsession à construire la voiture de courses ultime, rien ne sera possible sans le concours d'une équipe fidèle et soudée, mais aussi et surtout sans le talent brut d'un pilote comme Ken Miles. Ken Miles reprend le mythe du cow-boy taciturne et solitaire, économe en mots, mais à la parole franche.

Carroll Shelby est un self-made man, dans une approche très américaine de la réussite, qui nous rappelle le "yes we can" d'Obama ou la course à la lune de l'époque Kennedy, mais aussi la conquête de l'ouest américain d'avant la sécession ... tout ce qui symbolise un état d'esprit si chère à la légende étasunienne. Alors certes, les montures ont changées, mais pas la mentalité qui va avec. Dans la peau de Carroll Shelby, Matt Damon est juste brillant. Il parvient à mêler une arrogance assez fréquente dans l'âme américaine, à une fraicheur et une candeur troublantes. Son jeu tout en équilibre est très plaisant et permet de mettre encore plus en valeur l'autre performance du film, celle de Christian Bale.

Ken Miles quant à lui est un héros plus cartésien, à la personnalité très "terre à terre", qui se mue en monstre inébranlable sitôt placé derrière un volant. Mais ne lui demandez pas d'être un exemple pour les autres, de sourire aux caméras ou de se plier aux diktats de la communication et du marketing. Pas une seule fois il ne déroge à son rang et à ses convictions tout au long du métrage. Christian Bale s'en donne à cœur joie dans la peau de Ken Miles. Sa prestation est remarquable et il nous ferait presque oublier celle de Matt Damon, pourtant excellente elle aussi.

Le film nous raconte donc les destins liés de ses deux pilotes qui se portent une admiration mutuelle. Chacun reconnait les qualités de l'autre et on sent un profond respect l'un pour l'autre. Tout le long du film, ce profond respect et cette admiration mutuelle vont se muer en véritable amitié, sans nul doutes transcendée par leur passion commune des courses automobiles et motivés par un objectif commun (la soif de victoires). Mais pour parvenir à leurs objectifs, ils devront faire face à la bassesse et à la cupidité des cadres exécutifs de chez Ford.

La passion est donc incarnée par Carroll Shelby et Ken Miles, mais aussi par Enzo Ferrari et à travers lui la façon de faire de l'écurie italienne, tandis que la cupidité est incarnée par Henry Ford II et de ses sbires. Fils d'Edsel Ford et petit-fils d'Henry Ford, le fondateur du constructeur automobile Ford, Henry Ford II nous est présenté comme une immonde boursouflure d'orgueil et de suffisance. Quant à ses sbires qui ne peuvent répondre aux élans de génie des deux pilotes, ils multiplient les bassesses et les comportements déplacés.

Avec Le Mans 66, James Mangold veut aussi dénoncer la cupidité qui existe au sein du système hollywoodien. En tant que réalisateur et scénaristes, James Mangold se place dans le camp des rêveurs, des créateurs, des fous géniaux qui doivent conjuguer avec les contraintes des grands studios hollywoodiens qui n'ont pour objectifs, que le gain financier et l'accroissement de leur image de marque. C'est le combat de David contre Goliath, du réalisateur contre les studios, du pilote contre son écurie ... de la passion contre la cupidité, quoi !

Mention spéciale pour la mise en scène de James Mangold qui filme les courses automobiles avec beaucoup d'inventivité (axes de caméras, zooms sur le visage des pilotes, les jeux sur les défilements, les ralentis ou les inserts furtifs). Mais pour autant, pas d'être un expert en compétitions automobiles des années 50-60, ni même de compétitions sportives ou d'automobiles pour apprécier Le Mans 66. L’histoire derrière le duel Ford vs Ferrari, qui se déroule en coulisses, est tout aussi intéressante, si ce n'est plus, que la course automobile en elle-même.

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le 26 avr. 2024

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lessthantod

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