Max Nordau, fondateur avec Théodor Herzl de l'Organisation Sioniste Mondiale et auteur de thèses réactionnaires, n'imaginait certainement pas que sa thèse de la dégénérescence dans l'art contemporain allait forger un outil idéologique si performant aux mains des funestes nazis.
Alors que Nordau considérait comme une dégénérescence la montée de l'antisémitisme en Europe, une régression; et que le futurisme, un mouvement d'art contemporain, fournissait complaisamment des œuvres au régime fasciste de Mussolini; le concept d'art dégénéré (qui est l'idée que l'art de l'époque connaissait un déclin moral et esthétique, et que cette décadence de l'art entraînerait avec elle la décadence des hommes), allait fournir aux Nazis un prétexte idéal pour appuyer leur propre propagande antisémite, liant l'art dégénéré aux juifs et aux communistes et en y opposant leur art, dit héroïque, pastichant pompeusement le classicisme des anciens, privilégiant en particulier les maîtres du nord de l'Europe aux méditerranéens, vantant un idéal germanique et martial.
En 1937, à Munich, les autorités allemandes organiseront en parallèle l'une de l'autre deux fameuses expositions d'art, l'une exposant l'art héroïque germanique; l'autre, l'art dégénéré, rassemblement d’œuvres dadas, expressionnistes, ou de tout autres styles ne correspondant pas aux critères esthétiques nazis, dans le but de symboliser l'échec de la république de Weimar.
Une partie de ces œuvres sera détruite, une autre, revendue à des acheteurs étrangers peu regardant, pour alimenter les finances de la machines de guerre nazi.
Paris, capitale des arts et de la culture tout le long du XIXeme siècle, est alors riche de galeries de marchands d'art, des marchands d'art juifs, et des galeries d'art contemporain.
La scène artistique connaît les débuts de Picasso, Chagall, Miro...
Mais la capitale tombe avec la cuisante humiliation de l'armée française et des alliés qui ne s'attendaient pas à une victoire si prompte de l'ennemie, la France tranchée en deux, c'est alors que vont prospérer les profiteurs français et les rapaces allemands. Le haut fonctionnaire Jacques Jaujard, bien inspiré, évacuera in extremis les collections du musée du Louvre en dehors de Paris et ordonnera à Rose Valland de demeurer en poste au musée du Jeu de Paume afin de lui rendre compte secrètement des agissements des allemands qui emploient le musée comme entrepôt pour stocker les œuvres confisquées à des collectionneurs privés.
Le marché de l'art, plongé dans le marasme de la crise économique, connaît alors une frénésie considérable, d'autant que les bourgeois juifs, propriétaires de nombreux tableaux et objets d'arts, se verront vite dépouiller par les lois nazis et vichystes, les œuvres confisquées par les uns ou volées par les autres seront en partie revendues aux enchères. Ainsi, des personnalités comme l'ambassadeur Otto Abetz, vont chercher à profiter le plus rapidement possible de l'aubaine qui se présente à eux.
C'est que la propagande du Reich est boulimique et a un besoin vital de faire main basse sur le patrimoine culturel français. Hitler projette de créer dans la ville de Linz un gigantesque musée à la gloire du régime dans le but d'imposer la vision nazi de l'art; Goering, lui, va se constituer une immense collection privée. Les budgets accordés par les nazis dans cette vaste opération de pillage sont illimités. Une organisation dédiée est alors fondée: l'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg - Équipe d'intervention du Reichsleiter Rosenberg du nom de son patron Alfred Rosenberg) qui va transférer des quantités colossales d’œuvres au château de Neuschwanstein, en Bavière.
Pendant ce temps, l’Hôtel de vente Drouot tournera à plein régime à partir de la première année de l'occupation.
De vastes réseaux de trafique d'art s'établiront aussi en Suisse, profitant de la neutralité du pays, les œuvres d'art expressionnistes seront échangées contre des œuvres plus académiques, ou rachetées à vil prix.
Un industriel suisse, Emil Buhrle, marchand d'armes ayant fait fortune en fournissant de l'armement à la fois aux alliés et à l’Allemagne d'entre deux guerres (alors que cette dernière violait le traité de Versailles), va aussi faire pendant cette période trouble l’acquisition d'une impressionnante collection d’œuvres impressionnistes dans des circonstances étranges.
Ce que nous explique cette histoire, en fin de compte, est assez simple, c'est que l'art, en plus d'être un outil idéologique puissant au service d'une propagande pour les uns, un témoignage historique ou familiale pour les autres, est aussi et surtout un enjeu économique majeur: l’œuvre d'art est en effet une valeur refuge en temps d'incertitudes, une manière de thésauriser sa fortune, mais aussi un objet de spéculations commerciales, l'art est véritable butin de guerre qui attise constamment les convoitises les plus féroces, les plus cyniques des opportunistes, bien plus que les simples esthètes en quête de beauté...
Pour conclure cette critique, je vais me permettre un petit commentaire personnel:
Ce documentaire ne mérite peut être pas la note de 9/10 que je lui ai accordé, je pense que quelqu'un de plus calé en histoire aurait été plus réservé que je ne l'ai été, mais ce documentaire m'a fait découvrir un aspect de la seconde guerre mondiale que je pouvais envisager (que les nazis à l'époque et les profiteurs de guerre en générale sont peu soucieux du respect de la propriété privé n'est pas une grande surprise), mais dont j'ignorais en réalité presque tout. C'est un peu effrayant, mais l'on ne connaît en réalité presque rien de l'histoire, même quand elle est bien documentée et qu'elle ne date que de quelques générations, et cela me fait réaliser l'ampleur et la complexité de la tache des historiens qui doivent recomposer sans cesse minutieusement des évènements, souvent douloureux, qui se présentent sans cesse sous des versions et des aspects parfois complémentent inattendus.