Le Mariage de Maria Braun est généralement considéré comme le plus fameux opus de l’œuvre de Fassbinder ; c’est notamment ce film qui offrit la consécration internationale à Hanna Schygulla, actrice-fétiche du réalisateur (ils entament leurs carrière ensemble, vers 1969). Comédie acide, chronique sociale à la fois ultra-réaliste et haute-en-couleur, Le Mariage confond l’image de son héroïne avec celle de l’Allemagne renaissante des 50s à la reconstruction presque compulsive.
C’est d’abord le portrait d’un pays laminé choisissant de s’extraire du chaos et de gommer les ruines par la fuite en avant. Fuite en avant éparpillée mais recadrée, canalisée par le conformisme national ou l’agressivité sociale. Il y a ainsi une ligne commune derrière laquelle chacun s’abandonne dans une complaisance qui ne laisse pas de place au sentiment, au risque ni à la douleur. Le malaise de la Société est palpable, mais le trauma partagé invite à la discipline plutôt qu’aux épanchements, aux festivités ou à la réconciliation.
Maria Braun infiltre ostensiblement l’état d’âme et les aspirations des allemands dans l’après-guerre, montrant qu’à chaque niveau et en chaque endroit de la société, il s’agit non pas d’assumer le passé mais de vivre en dépit de lui. C’est une forme de totalitarisme consensuel, de pacte tacite et dépassionné entre tous les Allemands. Le bonheur est impossible mais ses substituts accessibles : Maria Braun simule la vie, s’octroie la réussite mais ne trompe personne et surtout pas elle-même, ancrée dans son existence empruntée.
Au début du film, Maria Braun est une femme stricte, emplie de principes (obstination ubuesque de la première séquence) et ne manquant jamais une occasion de tirer sa révérence aux règles, alors qu’elle a dans le même temps tous les traits de la femme fatale, de la peste égocentrique. Sa vie est faite de codes et de références très conservatrices ou rigides (vulgarité honnie, allégeance au sexe fort), ce qui lui permet de s’adapter aisément au dressage des instincts en vigueur dans la Société.
L’auto-consumérisme est contrebalancé par l’ambition sociale (son caractère autodidacte est complété par quelques sacrifices sociaux cyniques), mais l’équilibre accompli est délétère. Au terme de sa course, Maria Braun, mise face à son absence d’horizon et de perspectives claires, est plombée par le retour d’un passé dont la violence et les frustrations ont nourri le courage d’exister. Le combat, le chemin étaient plus stimulants que cette ataraxie nouvelle, puisque la paix et le confort sont entravés par les vérités plombantes des souvenirs : les vestiges sont malpolis, n’ont que faire des faux-semblants qui permettent de trahir la noirceur ou le vide d’un présent fantôme et inhibé.
Fassbinder fut l’un des premiers à évoquer cette période et en faire le roman (Maria Braun occupe une place importante dans le "Nouveau Cinéma Allemand" dont Fassbinder est une figure de proue). Il traduit à merveille le climat existentiel allemand, son affection pour l’ordre établi, le sens du devoir, de la droiture : on pardonne tout tant que la cohérence et la continuité restent. L’Allemagne amnésique des 50s a des allures de décadente sous contrôle, alors qu’elle se masque derrière un progrès aveugle, un ordre subtil et coloré.
L’initiative de Maria Braun, commentaire sur les paradoxes de la bourgeoisie allemande, est prolongée par deux autres films sur la RFA, orchestrés autour de deux femmes : Lola (1981) et Veronika Voss (1982) – c’est encore sans compter Lili Marleen, tourné à la même période que la trilogie.
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