Accepter le monde tel qu'il devient sans perdre ses racines. Tel est le défi pour ces Mongoles de Chine, et c'est ce défi qu'incarne Tuya, le personnage principal.
Tuya a gardé ses racines car elle a conservé un mode de vie et un métier traditionnels : elle garde des moutons, va chercher de l'eau à des kilomètres trois fois par jour, se plie à tous les rituels ancestraux, ne se déplace que sur un magnifique chameau qu'on retrouvera dans La femme des steppes, le flic et l'oeuf. Mais, plus que tout, elle défend la fidélité, notion éminemment ringarde dans le monde moderne. Elle accepte tout ce qu'on veut, mais une chose n'est pas négociable : si on l'épouse, on prend Bater, son mari devenu handicapé, avec elle. Cette obstination a quelque chose d'admirable. C'est cette fidélité entêtée qui représente l'attachement au monde d'avant. Une fidélité qu'on peut étendre à la culture traditionnelle de ces bergers de la Mongolie chinoise, d'où est issu le réalisateur.
Pour le reste, Tuya est moderne : elle boit de l'alcool, fait vivre son ménage (à l'instar de sa belle soeur) et tient tête à tous les hommes. Elle expliquera même à celui qui entend l'épouser que pour ce qui est de la gaudriole, il vaut mieux que la femme soit d'accord. (Reste les "charmantes jeunes filles" que l'hôtel tient à disposition des clients si l'on ne parvient pas à trouver cet accord.) Autour, les hommes sont à mille lieux de la figure virile traditionnelle : Bater ne fait rien de sa journée à part garder sa fille, Sen'ge se laisse mener par sa femme.
Le mariage de Tuya peut donc être vu comme une tentative de la part de Wang Quan'an de faire marcher son pays sur ses deux jambes : l'attachement à la culture traditionnelle et l'émancipation moderne.
Un très gros poids pèse sur Tuya, qui doit en plus s'occuper de ses deux enfants et ranimer un Sen'ge saoul plus souvent qu'à son tour. Alors, un jour, "plein le dos" comme dit l'expression, et le médecin, radios à l'appui, conseille de mettre la pédale douce. Dès lors, il faut trouver un homme. On retrouvera cette nécessité dans La femme des steppes, le flic et l'oeuf qui, à bien des égards, répond à ce film. Bien sûr, à voir la fidélité que lui manifeste Sen'ge, on se doute qu'il va emporter le morceau à la fin du film. Normal que Tuya y soit sensible, puisque la fidélité est au coeur du propos - j'ose d'ailleurs un rapprochement audacieux avec un autre mariage, celui de Maria Braun de Fassbinder, qui met aussi en scène une femme réaliste, pragmatique, mais inflexible sur sa fidélité à son mari.
Mais si Tuya cède aux avances de Sen'g, c'est aussi par solitude : en touillant sa marmite, elle réalise soudain qu'elle a besoin d'être aimée autrement que par son invalide de Bater. Modernité, là aussi.
Certains trouveront cette conclusion trop attendue, cela ne m'a pour ma part pas gêné, tant le propos du film me semble ailleurs. Il y a quelque chose de l'ordre du conte avec le personnage de Sen'ge prêt à risquer sa vie en creusant un puits pour sa belle, et acceptant toutes ses exigences, y compris celle de côtoyer ce mari qu'elle semble aimer. Et puis cela donne lieu à une très belle scène, celle où Tuya descend dans le puits le retrouver. Lorsque concrétisation il y aura enfin, Wang Quan'an aura le bon goût de nous la montrer en plan éloigné. Une romance de conte donc, mais le réalisateur se garde de verser dans le gnangnan - son film commence et s'achève sur le réalisme de la situation : ses deux maris qui se battent et son fils qui est moqué pour le choix de vie audacieux de sa mère.
Plus touchant que cette idylle, c'est la famille de Tuya qui émeut. Je pense à cette petite fille qui sourit en se balançant sur son cheval à bascule ou en dodelinant de la tête, à cette scène terrible où Tuya demande à ses enfants de s'empoisonner pour guérir Bater de l'envie de recommencer à s'ouvrir les veines. Je pense aussi à ce superbe plan où les deux époux encadrent leurs enfants endormis. Et puis il y a le personnage de Bater, émouvant lui aussi, cloué au sol mais qui reste humble et patient - du moins jusqu'à la scène finale, mais c'est l'alcool qu'il faut incriminer.
Tout cela nous est raconté avec un grand talent. Moult plans valent le détour, en plus de ceux déjà évoqués : un troupeau de moutons fendant ce motard à terre ; un camion renversé sous le poids du foin faisant comme une oeuvre d'art sur la steppe, puis les foulards multicolores des femmes qui tentent de le remettre d'aplomb ; un autre long camion ramenant la famille, Sen'ge et le cheval blanc à la maison... On pardonnera quelques facilités, comme les fondus enchaînés faisant apparaître à plusieurs endroits de l'écran Tuya dans la quête de son fils.
Souvent beau, parfois très touchant, ce Mariage de Tuya est un éloge de la fidélité. Serait-ce un message adressé à l'actrice Yu Nan, qui se trouve être l'amoureuse du réalisateur à la ville ?! A la ville ou à la steppe, d'ailleurs ?... Un bien beau message en tout cas.
7,5