Le Mécano de la Générale par abscondita

The General c’est d’abord un chef d’œuvre visuel ! Chaque plan est de toute beauté, chaque plan est un tableau composé. Les angles de vue sont variés : plans d’ensemble, plans rapprochés, champ-contrechamps, champs en diagonale, plongées et contre-plongées, jeux avec la lumière. Mais cette technique parfaitement maîtrisée est au service de la beauté et de l’histoire, elle n’a aucun caractère artificiel. Pour n’évoquer qu’un plan, je retiens, parmi bien d’autres, celui où l’on voit les soldats sudistes se mettre à courir entre les rangées de chevaux. La vue est prise en plongée. Les chevaux sont placés en deux rangées face à face au centre puis une autre rangée de chevaux se trouve placée à l’opposé, créant ainsi deux espaces de circulation dans lesquels les soldats courent. C’est superbe ! A noter que c’est Buster Keaton qui a pensé chacun des plans du film. C’est du grand art !

The General c’est aussi et avant tout un hommage au train. La General est en effet le personnage principal de cette histoire, l’amour premier de Johnnnie Gray (Buster Keaton). Et comme on le comprend ! On ne peut que tomber en amour devant ce petit train plein de caractère. La General est prise sous tous les angles de vue possibles et imaginables. Les images les plus belles sont celles où on lA voit au loin traverser les ponts en crachant sa fumée.

The General ce sont aussi ces cascades extraordinaires réalisées durant cette longue poursuite en train. Buster Keaton les a réalisées lui-même, il n’avait pas de doublure.

The General c’est également un humour léger qui ne tombe pas dans un burlesque lourd, mais qui accompagne discrètement tout le film. Ma scène préférée est celle où le tuyau d’eau se déverse sur la ravissante Annabelle Lee aux longues boucles. Elle est renversée sous la violence du flot et patauge dans l’eau. Sa surprise est totale. Et elle l’est effectivement car Buster Keaton ne l’avait pas prévenue pour créer un effet de surprise naturel ! Et c’est réussi !

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ce grand film qui est certainement le meilleur de Buster Keaton. Mais je voudrais terminer en faisant une petite digression. Le train, vedette de ce film, et le cinéma sont intimement liés. Comme le rappelait le très bon documentaire d’Arte récemment sorti, L’œil, le pinceau et le cinématographe - Naissance d'un art (2021), l’avènement du cinéma a été préparé par la peinture de l’époque, la photographie et l’apparition du train. En effet, en prenant le train, les gens faisaient pour la première fois l’expérience de se déplacer à grande vitesse (relative) et il voyait défiler sous leurs yeux le paysage à travers un écran. Cette expérience a éveillé ce que le reportage appelle « l’œil cinématographique » en dévoilant au regard une vision panoramique du monde.
De plus, le train est tout simplement cinématogénique (ne cherchez pas dans le dictionnaire …). Et c’est visible dès le film des frères Lumière : L’arrivée d’un train en gare de Ciotat. Quand un train est présent dans un film, il laisse toujours augurer un bon moment de cinéma !