Orange mécanique 2, ou l'amorce du déclin de Malcolm McDowell

Deuxième opus de la trilogie "Mick Travis" de Lindsay Anderson, qui suit le très réputé "If...." (que je n'ai pas vu), et qui se conclut par le bien mauvais "Britannia Hospital", les histoires restent cependant à première vue complètement déconnectées entre elles, et il est parfaitement possible de regarder les films indépendamment.


Maintenant il semble que "If..." se boucle sur un Mick Travis révolutionnaire, prêt à bouleverser la société, alors que dans "Le Meilleur des mondes possibles" (O Lucky Man !), le personnage de Mick Travis est devenu un total conformiste, prêt à se fondre dans le moule de la société pour parvenir à réussir dans la vie. Bref un renversement complet de perspective, et un regard beaucoup plus cynique, désabusé, désillusionné de Lindsay Anderson sur la société, sur toute perspective de changement, et toute concrétisation d'une quelconque ambition révolutionnaire (cf un plan du film qui montre un mur grisâtre sur lequel figure un grafiti géant "Revolution is the opium of the intellectuals").


Reste que plus il se conforme, et plus le pauvre Mick Travis en prend plein la gueule, jusqu'à la libération finale, lorsque enfin il parvient à trouver le sens de sa vie tant recherché : se réaliser dans le cinéma, et l'art en général évidemment. Ayant trouvé sa place, il est un "lucky man" qui a pu trouver une raison de vivre dans un monde aussi merdique (cf les paroles du main theme).


On notera également une parenté évidente avec "Orange Mécanique", à tel point qu'on peut songer à une parodie, que ce soit dans la reprise directe de motifs visuels du chef d'oeuvre de Kubrick (la séquence de défenestration, l'étirement des paupières) ou des thématiques (le conditionnement et le reconditionnement avec l'évolution du personnage en sain innocent, la confrontation brutale à la violence de la société...).


La lettre d'intention est donc plutôt chouette, et l'idée de lui donner forme via un récit picaresque dans lequel Mick Travis, plein d'entrain et de naïveté, va vivre et subir 1001 péripéties au sein d'un univers britannico-capitaliste à la fois farfelu et cauchemardesque, offre beaucoup de promesses.


Mais concrètement on est face à un gros machin de 3h, bordélique (à dessein, mais ça n'en reste pas moins parfois imbuvable), où les charges contre la société britannique sont assez lourdingues, pas follement palpitantes ni inspirées, et trop diluées en raison de l'abondance excessive de cibles traitées trop superficiellement ; entre autres : juge sado-maso en slip rouge sous sa toge qui se fait fouetter entre deux verdicts, hommes d'affaires avides qui pactisent avec un dictateur africain interprété par un acteur blanc grimé en noir, scientifique maboul qui préfigure les expérimentations ignobles de "Britannia Hospital", la police secrète aux méthodes orwelliennes, flics corrompus, méfaits de la mondialisation...



Les méfaits du style Anderson



Ce que j'avais déjà remarqué dans "Britannia Hospital", c'est que je trouve le style d'Anderson assez sinistre, une sorte de surréalisme un peu morne, pas spécialement drôle, assez plat... Un sens du farfelu un peu tristounet, un cauchemardesque grandguignolesque qui ne fait pas particulièrement frémir, on est dans un genre similaire évidemment très loin de la puissance du "Brazil" de Gilliam. Et surtout des séquences qui s'éternisent avec des dialogues chiantissimes (cf toute la partie chez les hommes d'affaire).


Absence totale de psychologie également, pas d'émotion, pas d'envolée, une distance excessive qui fait qu'on ne se sent jamais véritablement concerné par ce qui se passe à l'écran (si ce n'est à la toute fin libératrice, où les personnages finissent par se lâcher dans un immense ballet jouissif).


Et puis globalement le projet est rebutant, une sorte de puzzle aux pièces éparses, de qualités diverses, avec des scènes qui peuvent fonctionner individuellement, mais qui ne semblent jamais connectées entre elles, sans jamais avoir le sentiment d'une quelconque progression, ce qui est particulièrement frustrant, malgré ici ou là quelques tours de force de mise en scène et quelques séquences sublimes et audacieuses (la poursuite des miséreux, la beauté picturale des scènes en Ecosse).


L'expérimentation auteurisante, est très poussée, avec une séquence de film muet pour ouvrir le film, des procédés de narration originaux avec des pancartes de dialogues, et surtout des intermèdes musicaux en studio d'enregistrement avec Alan Price (musicien du groupe "Animals"), qui vole la vedette à tout le monde, en donnant au film de la respiration. Pour être clair, si on rentre jamais complètement dans le récit du film, au moins on a de la super zik pop qui déboite, et qui finit par donner du charme au projet.


Et puis ce bordel généralisé, cette confusion en permanence entretenue, où les acteurs jouent plusieurs rôles sans qu'on ne sache jamais précisément lequel, ce jeu sur la frontière de la diégèse où se mélangent acteurs/personnages/chanteurs, finit par être assez intéressant et convaincant. Les paroles de la chanson "Changes" explicitent assez bien ces partis-pris de mise en scène déroutants :


"Everyone is going through changes / No one knows what's going on / Everybody changes places / But the world still carries on".



La fin d'une époque ?



Alors qu'il avait démarré en fanfare les 70's, avec "If..." et le succès monumental d'Orange mécanique, on pouvait penser que Malcolm McDowell aurait eu une carrière à la Marlon Brando.
Mais non, "O Lucky Man" est peut-être son dernier "grand" film (qui a d'ailleurs fait un flop retentissant, même s'il fait l'objet d'un culte), et sa carrière ainsi que son physique ne cesseront d'aller de mal en pis à partir de là.


Entre seconds rôles dans des films bidesques, et premiers rôles pas spécialement marquants, ainsi que les méfaits de l'alcool et de la drogue qui vont transformer son visage, comme s'il avait pris 20 ans en l'espace d'une journée à l'orée des 80's, comprenant calvitie et nez qui se met à fondre, sa carrière laisse un sérieux goût d'inachevé.


Quant à Anderson, sa carrière est quasi-terminée, il bouclera sa trilogie avec "Britannia Hospital" où il massacrera consciencieusement un personnage de Mick Travis très effacé dans une séquence de boucherie gore et gratuite, avant de finir, comble de la tristesse par réaliser des vidéoclips pour George Michael.


Reste un film un peu foireux, dix fois trop long, mais quelque part assez fascinant, une musique qui déboite (écoutez-moi donc cette zik qui envoie du pâté !), une Helen Mirren charmante comme tout, et un témoignage salutaire et poétique de la radicalité des 70's. Bref le voyage en vaut la peine malgré tout.

KingRabbit
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le 17 janv. 2016

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