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6.2
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Film de Mark Mylod (2022)

Tragico-comique plus qu'horrifique, vous y entrez en tant que spectateur qui s'attend à un thriller très fouillé, et vous en ressortez avec un film qui oscille entre dérision et tension à travers des clins d'oeil quand même très très appuyés et des personnages sciemment caricaturaux.

Ca critique, direct, sur le milieu artistique, culinaire, cinématographique, mais surtout sur cette élite un peu chiante, qui consomme par envie de bien montrer qu'elle est au dessus du reste. Le besoin "des expériences inoubliables" qui la rendra toujours plus exigeante et critique sur ce qu'elle consomme, et ici voilà que le chef décide d'offrir à sa clientèle ce qu'elle demande, après tout : une expérience inoubliable ! Alors de quoi se plaint-on ? Au détriment de tout bonheur à produire, la pression et les codes régissent ce qui deviendra LE Menu, aussi je trouve le titre du film si parfaitement par-fait !

Je me souviens de ma première expérience sur Senscritique, j'ai osé dire que j'avais bien aimé un blockbuster . De là vient-on me répondre ; à savoir un méchamment rodé des films, qui s'est ingurgité un nombre incalculable de projections au point de, il semblerait, avoir, beaucoup trop vu du monde du cinéma : "ça dépend ce que l'on cherche dans le cinéma."

Puisque le but de l'art est d'initier des émotions... j'imagine que le rêve quitte à mesure qu'on déstructure, que ce soit des plans ou une tarte, et c'est justement ce que le Menu désigne.

Voilà donc, ce qui fait d'un bon produit un bon produit, n'est-ce pas : les codes, les techniques, la recherche inlassable de l'innovation, et qu'importe l'émotion, si celle-ci vous a touché alors même que le résultat est trop facile dans ses procédés, cela signifiera simplement que vous n'êtes pas "digne" d'apprécier la vraie qualité, ou bien que vous ne possédez pas le niveau nécessaire à cela.

Le problème de cette élite consommatrice qui n'a que la culture d'absorber c'est qu'elle devient bourreau des créateurs soumis à la pression. Dans le Menu, la visibilité des convives tient à leur domaine d'appartenance : acteur, blogueur, critique, cherchez bien, il n'y aucun chef étoilé de restaurant. On y retrouve des personnes habituées aux concepts et aux codes de la grande cuisine, mais qui n'ont pas la capacité de reproduire le talent de ce qu'il consomme : aussi, à force de trop vivre d'expériences, de trop goûter l'innovation directement servi sur un plateau, elles finissent par se lasser de ce qui ne sort pas du lot. Ces juges qui se complaisent à appartenir à cette classe prestigieuse les condamnant à avoir du bon goût... quelle infortune ! Si aveuglés d'extrapolations à l'égard du grand art, les voilà pourtant incapables de reconnaître quand le chef Julian Slowik se moque d'eux.

La seule personne qui s'en rend compte, c'est Margot, la convive "qui ne devrait pas se trouver ici."

Si on se penche sur les dialogues, c'est un plaisir. Entre les lignes, il y a la folie du chef, la vision de son "menu" formé comme une cascades de messages et de sous entendus et rien dans ce film, ou quasi rien, n'est à saisir au premier degré. C'est là où la dissonance s'installe, quand les scènes que vivent les protagonistes sont elles bien réelles, dans toute leur gravité et leur horreur, tandis que le film brise le quatrième mur à coup d'annonces de plats, un régal !

Ce qui restera pour moi le point le plus agréable du film, et le vrai liant du film, c'est l'échange entre le chef et Margot. Un homme ayant perdu toute santé mentale au service d'une classe qui a fini de zapper sa caboche déjà amochée depuis de belles lurettes ! Et une femme qui n'attend plus rien du genre humain mais qui a bien appris à saisir la nature de ses clients -question de pratique...-, leurs dialogues gagnent une réelle profondeur, et leurs regards et phrases ont ce sens qui manque cruellement à tous les autres, ce qui est d'autant plus troublant, compte tenu de la folie léthale du chef.

J'arrêterai ma critique ici, au risque de vous spoiler. Au final, j'ai vécu une belle, et drôle, et un peu malaisante expérience, et tout aussi décalée que puisse être cette expérience, je peux visualiser pour les mêmes raisons pourquoi on ne l'apprécierait pas - par ses travers trop satiriques, ses messages qui n'attendent pas toujours de causalités avec les suivants, et sa relative désinvolture au niveau de plans qui s'assument et reprend les "recettes" du cinéma habituelles pour les introduire au sein d'un univers qui a comme fil conducteur les étapes de son menu, ce qui risque d'être vécu comme de la lenteur, on risque d'en perdre la moitié, et d'en lasser d'autres.

Cependant, pour ceux qui ne l'ont pas encore vu, je vous le recommande, ne serait-ce que pour vous faire votre propre opinion à son sujet, une expérience sans prétention mais à visionner au moins deux fois pour lire à travers les lignes de scripts. Ce film restera personnellement dans ma mémoire comme un très chouette moment, rafraichissant, avec plaisir je me réserve un troisième visionnage, afin de chercher à en saisir un peu plus des sous-entendus savoureux.

Karina
7
Écrit par

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le 12 juin 2023

Critique lue 14 fois

Karina

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