Ermanno Olmi était jusqu'alors connu pour ses chroniques de la vie quotidienne italienne des années 60, tout en minimalisme et en humour absurde discret (L'Emploi, Les Fiancés), ainsi que pour la fresque paysanne de plus de trois heures qui observait la vie d'une métairie à la fin du XIXe siècle (L'Arbre aux sabots, palme d'or en 1978). Il était donc en un sens plutôt naturel d'être loin de l'imaginer, à 70 ans, investir un récit médiéval du début XVIe siècle autour de la personne de Jean de Médicis, dit Jean des Bandes Noires, un jeune chevalier de 28 ans capitaine de l'armée papale engagé contre les lansquenets, fantassins de l'empereur d'Allemagne Charles Quint. Dans cette perspective historique, Le Métier des armes raconte autant la guerre d'escarmouches qu'il livra au général Frundsberg, se soldant par la mort de Jean de Médicis et par le sac de Rome en 1527, que le point de bascule dans la vision tactique et idéologique de la guerre entre Moyen Âge et Renaissance.
Pour un non-initié à la période des guerres d'Italie et ses onze conflits étalés sur près d'un siècle, on peut assez instinctivement penser que le film d'Olmi ne permettra pas de saisir l'intégralité du contexte. L'introduction est d'ailleurs une sorte d'aveu de ce point de vue, car les 10 premières minutes se révèlent parfaitement incompréhensibles, avec une profusion d'informations, de personnages et de lieux laissant le commun des mortels dans un état de perdition avancé. Mais cette introduction n'est que le point de départ plantant le décor, à savoir la mort du Jean de Médicis, pour mieux revenir une semaine auparavant et relater les événements ayant conduit à l'événement tragique de manière beaucoup plus intelligible et appréciable.
Le Métier des armes se sert de l'invention du fauconneau, une pièce d'artillerie légère présentée comme la première capable de transpercer les armures des chevaliers, pour illustrer le basculement d'une guerre aux allures héroïques, constituées de batailles rangées et de sacrifices correspondant à la norme chevaleresque, vers une guerre beaucoup plus tournée vers la tactique, avec ses escarmouches et ses attaques surprises — Jean de Médicis sera dans le film autant auteur que victime de cette transformation, auteur dans le harcèlement des troupes luthériennes et victime par sa blessure à la jambe qui sera gagnée par la gangrène. Le refus du spectaculaire pourra à ce titre être rebutant, pour qui s'attend à quelque chose à ce niveau-là.
La description de cette bascule historique est vraiment passionnante, sorte de révolution militaire qui n'est sans doute pas consciente à l'époque (même si le film prend le soin de montrer la fabrication des canons avec beaucoup d'emphase, une scène qui rappelle directement celle de la cloche dans Andrei Roublev), un art de la guerre en mutation explicitement cité au travers de lectures politiques de Machiavel. Olmi instaure un climat d'une froideur incroyable, imposant une distance qu'il faut apprécier, compensée par une composition proprement fabuleuse. La beauté de la photographie est d'une intensité folle, avec de très nombreuses séquences capturées comme des tableaux de la Renaissance, dans des jeux de lumière stupéfiants: les éclairages dans les forteresses, les torches qui bravent la tempête en extérieur, les arbres nus desquels pendent des cadavres, les paysages enneigés couverts de brume, l'architecture des intérieurs immenses, tout cela est fascinant pour les yeux.
Olmi referme son film sur une atmosphère chargée d'une mélancolie indélébile, un sentiment diffus de solitude coriace renforcé par l'éclairage sur les derniers jours pour le moins éreintants de la vie de Jean de Médicis, au travers d'une succession de tableaux retraçant un segment de l'évolution du métier de soldat. Un récit tout sauf héroïque, moins porté sur les troupes et les combats que sur les trahisons et les réminiscences intimes au moment de l'agonie. Un film sur la vanité humaine, aussi, avec des déambulations méditatives : le décor de la chambre dans laquelle le héros succombe est un écrin de choix avec toutes ses peintures et sculptures. À la mort du condottiere, il fut demandé l'abolition des armes à feu nous font comprendre les dernières minutes du film : une demande qui resta bien sûr lettre morte.
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