Sorti en 2014 chez Artus dans un magnifique coffret double DVD collector, Le Miroir Obscène, que je citerais uniquement sous son titre espagnol, Al Otro Lado Del Espejo, est un film étrange pour Jess Franco. Nous sommes en 1973, et après plusieurs films érotiques ou autres relativement mauvais (Une Vierge chez Les Morts-Vivants, Les Démons du Sexe, Le Journal Intime d’une Nymphomane), Franco décide de livrer un film plus sérieux. Toujours en coproduction avec Robert De Nesle pour la France, il se lance dans le projet Al Otro Lado Del Espejo sur un scénario de Nicole Guettard. Franco livre son film, et le producteur n’est pas content, trouvant le film difficile à vendre. Franco doit tourner de nouvelles scènes, érotiques notamment, voir pornographiques pour certains plans, et ajoute un nouveau personnage, qui sera joué par sa nouvelle muse, Lina Romay.
Le film sort donc en France sous le titre Le Miroir Obscène, et voit sa structure narrative, son histoire, ses thèmes, le tout est réduit à néant, et le métrage se retrouve envahit de scènes érotiques totalement inutiles et surtout peu raccord avec à la fois le sujet du film et les autres scènes les entourant. Même le score musical du film sera changé. Il faudra attendre 2014 pour pouvoir découvrir la version espagnole du film, la version filmée et voulue par Jess Franco dés le départ. Et autant le dire de suite, si Le Miroir Obscène n’est qu’un mauvais film de plus dans la longue filmographie du monsieur, un film bancal et peu passionnant, Al Otro Lado Del Espejo est un excellent film, et même sans doute un des plus intéressants de son auteur, rien que ça. Et malgré tout cela, ce montage reste encore rare.
Franco nous raconte donc ici avec une subtilité qu’on ne lui connaissait pas l’histoire d’Ana, une jeune femme vivant avec son père sur l’île de Madère. Avec une éducation que l’on imagine assez stricte, la jeune femme finit pourtant par connaître l’amour, et prévoit même son mariage. Mais alors que le jour fatidique approche, elle retrouve son père, qui s’est pendu. Elle part alors pour refaire sa vie ailleurs, annulant son mariage, devenant apeurée par l’amour, et surtout traumatisée par l’image de son père, qu’elle continue de voir dans un énorme miroir. Al Otro Lado Del Espejo nous fait découvrir le portrait d’une jeune femme brisée, incapable de connaître l’amour, définitivement sous l’empire de son défunt père. Franco construit une intrigue souvent à la frontière avec le fantastique (le fantôme du père d’Anna la forcerait à assassiner ses petits amis), mais n’appuie jamais ses effets, préférant se concentrer sur le doute, et surtout sur l’essentiel, à savoir son personnage principal, joué par la magnifique Emma Cohen, qu’il rend absolument sublime à chaque plan. À la manière de Soledad Miranda dans quelques uns de ses meilleurs films (Vampyros Lesbos par exemple), Franco filme frontalement son actrice, son regard, et nous envoute. Quelque chose se dégage de son regard et captive notre attention. Surtout que Franco semble véritablement aimer son histoire et surtout vouloir s’y tenir pour livrer un film intéressant et construit. Pas de facilité ici, de zooms incessants, de nudité gratuite (dans la version espagnole j’entends), ou d’éléments sanglants.
Franco semble également avoir bénéficié d’un budget un peu plus élevé que d’habitude, ce qui lui permet de soigner totalement l’aspect technique de son film. Malgré quelques défauts sans doute du à un planning de tournage serré (ces scènes censées être de nuit alors que l’on aperçoit la lumière du jour entre les volets), il filme les doutes et les déambulations à la frontière d’un cauchemar éveillé d’Anna avec subtilité et beauté, donnant à son métrage une ambiance assez unique, parfois triste et mélancolique, aspect largement souligné par la superbe musique d’Adolfo Waitzman.
Même pour son final, dévoilant clairement certains thèmes abordés et sous entendu tous le long du film, Franco ne se laisse jamais aller à la gratuité habituelle de certains de ses films et garde une distance nécessaire afin de livrer le meilleur, et son doute son meilleur travail depuis longtemps. Franco y a tout soigné, et outre le regard d’Emma Cohen, on retiendra longuement les quelques scènes où le fameux miroir du titre entre en jeu, à la fois par leur construction mais également par l’ambiance si étrange et sombre qui y règne. On signalera aussi les quelques passages musicaux où Franco prouve son amour pour le jazz. Oui, je conseille vivement le montage espagnol du métrage, et déconseille vivement le montage français !
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