En ce temps-là où, relâchement de la censure aidant, érotisme et pornographie envahissaient les écrans, les producteurs ou les distributeurs de films d’exploitation avaient coutume d’ajouter des scènes érotiques ou pornographiques, tournées le plus souvent n’importe comment par d’autres réalisateurs et avec d’autres acteurs, pour essayer d’attirer plus de spectateurs. Ce fut le cas pour le film espagnol de Jess Franco, Al otro lado del espejo (De l’autre côté du miroir), tourné en Espagne en 1973 et sorti en France par le producteur Robert de Nesle sous le titre Le Miroir obscène (et aussi sous le titre alternatif Le Miroir cochon) avec des scènes hard additionnelles. La petite particularité est ici que Jess Franco semble avoir fait le travail lui-même puisque, dans les scènes ajoutées, on retrouve deux de ses égéries, Lina Romay et Alice Arno, ainsi que sa patte. L’éditeur Artus nous permet de découvrir dans de bonnes conditions les deux versions et, à moins que vous ne soyez vraiment fanatiques du réalisateur, ou que vous soyez vraiment intéressés par les scènes de lesbianisme, il faut regarder la version espagnole originale. Car, pour essayer de tout de même de justifier les scènes additionnelles, le film a été complètement tripatouillé et transformé, notamment sur un thème essentiel, celui de l’inceste, la sœur remplaçant le père. De surcroît, pour ne pas dépasser la durée du film, plusieurs scènes ont dû être supprimées ce qui rend la suite des événements souvent un peu étrange. Dans son ouvrage de référence, Alain Petit nous apprend que Franco tenait beaucoup à ce film dont le scénario, écrit avec la collaboration de Jean-Claude Carrière, datait des années 60. Le point de départ de l’histoire, un veuf austère de la bourgeoisie catholique espagnole se suicide le jour des noces de sa fille adorée, n’est pas sans lien de parenté avec Viridiana et Tristana de Luis Buñuel, auquel plusieurs séquences du film font d’ailleurs penser. On y retrouve aussi l’amour du jazz, l’héroïne est pianiste, ce qui nous vaut une longue séquence de jam-session qui est tout de même aussi un peu du remplissage, de l’érotisme car, même dans la version originale, Emma Cohen est souvent peu vêtue, et Howard Vernon dans le rôle du père. Nous avons donc un Franco beaucoup plus sérieux et soigné que d’habitude, un drame psychologique teinté de psychanalyse et de fantastique d’assez bonne facture. Mais il y a malheureusement aussi des passages un peu bâclés. Par exemple, avant la répétition au théâtre, Anna et le metteur en scène arrivent dans une Austin Healey rouge, et repartent dans un MG verte, MG qui se révélera être aussi plus tard la voiture d’amis rencontrés à Madère. Il y a aussi des longueurs et du remplissage. Enfin, si Emma Cohen est ravissante, il est manifeste qu’elle n’a jamais touché un piano de sa vie et, de ce fait, elle est vraiment peu crédible, voire même parfois assez ridicule, dans les scènes où elle en joue.