C’est en train de devenir une tradition de Noël chez Netflix : le film apocalyptique confié à un auteur, se voulant sans doute un contrepoint à la factice atmosphère qui dégouline dans le paysage pop. Après le Don’t look up d’Adam McCay, le White Noise de Noah Baumbach, voici donc Le Monde après nous de Sam Esmail, produit par les époux Obama (parce que pourquoi pas) et que les tags de la plateforme nous rangent dans la catégorie « suspense insoutenable »
Ramener Julia Roberts dans un long métrage relève déjà presque de l’exploit, et le réalisateur ne manque en effet pas d’ambition : les premières séquences lorgnent clairement du côté des grands, que ce soit dans la fascination de Fincher pour les architectures des ultra riches, ou la virtuosité d’un Cuarón dans des mouvements fluides d’appareils à l’intérieur de l’habitacle d’une voiture.
Il s’agit de bien poser les prémices d’un récit dans lequel madame, cynique et désabusée, offre un séjour dans une maison de location à l’écart de la ville qui ne dort jamais, et où le malaise doit rapidement s’installer par une série d’indices inquiétants. Esmail aimerait lorgner du côté d’Ari Aster, et semble penser qu’il suffit de filmer à l’envers, ou de côté, ou simplement autrement que la norme pour qu’un effet se produise sur son audience. Alors on écrit des trajets de caméra improbables, on télécommande son drone ultra HD, et l’on offre tous les quarts d’heure une petite cacahouète de film apocalyptique avec un pétrolier, un avion, des Tesla, un drone qui foncent vers des gens qui n’avaient rien d’autre à faire que se mettre sur leur trajectoire.
Parce que toute cette esthétique doit bien entendu se mettre au service d’un récit, et nourrir le « suspense insoutenable » vendu en vitrine. Et là, mauvaise nouvelle, Esmail va se borner à imiter Shyamalan, ses effets de manche et sa mauvaise foi scénaristique. Des inconnus qui toquent à la porte (Knock at the cabin), un peu de body horror gratuit (Old), du saupoudrage d’éléments qui ne servent à rien comme le comportement des animaux qui « veulent nous dire quelque chose », des informations connues mais distribuées au compte goutte pour le seul bénéfice d’un scénario qui fait de l’absence d’info le moteur principal de la tension, et des comportements tous plus improbables les uns que les autres. Maman blasée a beau dire que ses enfants, génération zapping, ne semblent pas traumatisés par les événements et se baignent dans la piscine en attendant le prochain épisode, il en va de même pour tous les personnages, qui se séparent, remplissent les cases des récits alternés, et passent une soirée lunaire où madame s’enivre avec le proprio tandis monsieur reste en terrasse avec l’adolescente, après tout, c’est la fin du monde, pourquoi ne pas profiter du contact humain.
Mais qu’on se rassure, tout ceci convergera bien vers des révélations fracassantes et des éléments de résolution.
Quelques pilules bleues pour ralentir une chute des dents inexpliquée (ah bon), une cynique qui dit que c’est la faute à la pub et à la malveillance du capitalisme, un informé qui raconte finalement que tout cela correspond bien à ce qu’il savait depuis le début mais il n’était pas sur alors sait-on jamais, pour un programme de coup d’état écrit par un collégien sur SketchUp censé nous symboliser que la menace n’est jamais aussi fatale que lorsqu’elle vient de l’intérieur, et que les humains, ces pourceaux, ont tôt fait de finir le boulot qu’on attend d’eux, une gamine de 13 ans qui voudrait juste savoir comment se termine Friends, où se trouve son unique source de réconfort.
En somme, Netflix nous explique que le capitalisme favorise la misanthropie, que le comportement moutonnier des accrocs aux algorithmes fait courir le monde à sa perte, que lorsqu’il n’y aura plus de réseau, le support physique sera l’ultime recours pour nous divertir. Mais qu’en attendant, un objet bien clinquant pourra toujours nous donner la satisfaction stérile de regarder avec lucidité le monde s’effondrer depuis des demeures de luxe, avant la livraison de Noël prochain - si tant est que le monde en question dure jusque-là.