Le cinéma est un terme vaste qui regroupe un large spectre artistique, néanmoins on assiste à des jugements de valeur qui promulguent si une œuvre s’inscrit dans un aspect cinématographique ou non. Le film d’Eugène Green, Le Monde Vivant sorti en 2003, souffre des critiques de certaines personnes qui ne sont pas familières de ce style particulier et le réduisent de par leur simple vision à un non-film sans travail apparent. Effectivement, il va de soi que ce film n’est pas à la portée de tous, mais ne pas y déceler une quelconque volonté de labeur ou l’associer simplement à de la flemmardise serait fortement osé. De prime abord, le style absurde est indéniablement imprégné dans l’ambiance du film, il s’agit d’ailleurs du coupable lorsqu’il y a une incompréhension, mais ce style demande une maitrise particulière vis-à-vis des sujets de l’histoire pour parvenir à un film de ce genre. C’est pourquoi il comporte un ensemble d’éléments qui se confondent et qui permettent la solidité de l’œuvre. Commençons par le fond qui aux plus réfractaires est associé à un simple amateurisme, voici un premier problème qui émerge chez les cinéphiles et même plus globalement dans nos sociétés, le terme d’amateur est fréquemment associé à une idée péjorative. Toutefois, il ne s’agit pas là d’un point négatif car le réalisateur n’a pas la prétention de faire un très grand film mais tout simplement son film avec les moyens dont il dispose. Ces moyens sont alors à la hauteur de ses espérances et s’installent parfaitement dans le récit à travers la vision d’Eugène Green.
C’est ainsi que ce monde plein de vie se met en scène dans une approche plus théâtrale, avec des personnages qui sont peu nombreux et qui sont représentés sobrement. On a alors Alexis Loret qui incarne le chevalier au lion, Adrien Michaux dans la peau de Nicolas ; un ami de passage du chevalier, Christelle Prot qui joue Pénélope ; la femme de l’ogre qui lui est interprété par Arnold Pasquier, puis on a finalement Laurène Cheilan dans le rôle de la demoiselle de la chapelle et deux jeunes enfants. Le jeu est généralement neutre mais cela ne correspond pas à un gage de mauvaise qualité, bien au contraire les acteurs sont les gardiens d’une diction claire et précise. On assiste tout de même à deux moments de jeu d’acteur plus classique avec Christelle Prot qui interprète magnifiquement la tristesse et la joie. Le cadre dans lequel évoluent les personnages est celui de la campagne des Pyrénées-Atlantiques avec le château de Montaner et de Mauléon en décor central, il apporte un cadre bucolique sans pour autant proposer une révolution esthétique car il ne s’agit pas là de son sujet principal.
L’accent est porté à travers le dialogue entre les personnages, leurs regards fixes qui s’entrecroisent et l’incarnation de l’absurde. L’histoire s’impose comme une écriture simple à comprendre en apparence avec l’objectif de terrasser l’ogre qui retient deux enfants pour son futur repas. Seulement, le récit s’enracine dans diverses situations absurdes au grè des dialogues. L’exercice majeur qui émerge dans la construction sont les ruptures de ton dans le texte ou encore les anachronismes. Ainsi, dans un dialogue recherché et savant on assiste parfois à des phrases intruses telles que « Qui est ce mec ? » ou « J’ai des chaussures anti-bave que m’a offert ma mère ». L’anachronisme se permet d’intervenir par le fait que le film se présente comme un théâtre vivant où les personnages jouent avant tout un jeu dans notre époque actuelle, bien que l’histoire réside dans le conte. Par conséquent, on est témoin de phrases déconcertantes et comiques par décalage comme « La polygamie est interdite seulement par dieu et nous sommes dans un pays laïque, les lois Jules Ferry l’interdisent aussi » ou encore « Il reste encore un enfant dans le congélateur ». Le ton absurde rappelle énormément le style de Samuel Beckett avec notamment son En Attendant Godot, en voici l’exemple parfait :
-Je vous aime Nicolas car sa parole l’a libérée.
-C’est chouette et qu’est ce que cela donne d’être libre ?
-La joie.
-C’est super frais tout cela, allons y.
-Où ?
-Au château.
-Mais pourquoi ?
-Car c’est là où nous allions.
En définitive, l’influence de l’absurde baigne remarquablement dans ce long-métrage et propose un éventail de dialogues biens écrits. Le goût de l’absurde n’est effectivement pas pour tous car pour adhérer à l’absurde il faut avant tout le comprendre. Les animaux qui y sont présents valent aussi le détour de part leur présence charismatique à l’écran, le lion tout comme le bébé éléphant...