Pas vu le film.
Mais,
Relativement au roman de Thomas Bernhard :
« Le principe du mal réside dans la tension de la volonté, dans l'inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie prométhéenne » Emil Cioran, Précis de décomposition
« Malheur à l'écrivain qui ne cultive pas sa mégalomanie, qui la voit baisser sans réagir. Il s'apercevra bientôt qu'on ne devient pas normal impunément » Emil Cioran, Aveux et Anathèmes
« Dans le désert, nous avons soif d’eau » Thomas Bernhard, Le naufragé
On retrouve entremêlées dans ce que nous propose Thomas Bernhard les deux problématiques contenues dans les deux citations de Cioran.
C'est un livre sur la mélancolie inhérente à la compulsion prométhéenne de l'homme dans une société du spectacle qui ne laisse plus de place au mysticisme.
Ces deux citations, dans leurs vérités respectives et le douloureux paradoxe qu’apporte leur confrontation, peuvent avoir quelque chose de désespérant.
Seul le virtuose semblerait dans Le naufragé (à travers son talent et le détachement de la réalité qui en découle, comme une force supérieure qui lui assurerait une dignité pérenne) pouvoir être suffisamment créatif pour être heureux.
Mais le Narrateur, en souffrance sur le sujet autant (quoique moins) que son ami Wertheimer, semble éventuellement trouver une posture de réconfort sur la fin du roman. Il considère sur la fin l’être humain comme une œuvre d’art, chaque être serait créateur tout simplement dans sa manière de vivre, car chaque être humain serait fondamentalement unique :
« Wertheimer aurait bien voulu être Glenn Gould, aurait bien voulu être Horowitz, aurait sans doute aussi voulu être Gustav Malher ou Alban Berg. Wertheimer n’était pas en mesure de se voir lui-même comme quelqu’un d’unique, chose que chacun peut et doit se permettre s’il ne veut pas désespérer ; quelque soit l’homme, il est unique, me dis-je moi-même encore et toujours, et du coup, je suis sauvé. Cette bouée de sauvetage, à savoir le fait de se considérer soi-même comme un phénomène unique, Wertheimer n’avait jamais pu la prendre en considération, toutes ses dispositions s’opposaient à cela. Chaque homme est unique et chaque homme, pris isolément, est effectivement la plus grande œuvre d’art de tous les temps, et cela, je l’ai toujours pensé, j’ai toujours pu le penser, pensais-je. » Page 106
Il y aurait dignité dans l’art de vivre, assorti peut-être d’un peu d’autosuggestion.
Voilà qui me plaît.
Il y aurait ainsi dignité dans une bonne bouteille de pinard. Et pas uniquement dans l’art de la faire, mais aussi, et tout autant voire presque plus, dans l’art de la boire (l’ivresse permettant au passage le minimum d'autosuggestion nécessaire). C.Q.F.D.