Les dictatures, comme les crises financières, sont l'occasion de révéler des côtés de l'être humain qui mériteraient certainement de rester enfouis. Mais aussi des trésors de générosité et de résilience, bien entendu, puisque notre espèce est double. En tous cas, presque 30 ans après la fin du règne toxique de Pinochet, le Chili n'en finit pas de faire ses comptes. Qui a les mains pleines de sang ? A quoi ressemble aujourd'hui le bourreau d'hier. Les victimes, jadis condamnées à l'effacement, ont investi le domaine public tandis que les bouchers se sont fondus dans les recoins sombres de la société chilienne. Parfois, un projecteur éclaire inopinément l'une de leurs tanières et une famille abasourdie découvre le double-fond de l'un de ses membres, jusque là parfaitement anodin. Qu'on croyait connaître. Voilà ce qui se passe dans la famille de la réalisatrice. Sa tantine adorée est accusée d'avoir commis le pire quand elle était membre de la sinistre DINA, la police secrète du tyran. Elle s'en défend comme un beau diable. Commence alors une enquête filmée qui avance lentement, comme progresse à contrecœur la conscience d'avoir peut-être accordé son affection à un monstre. Mais l'Adriana du titre n'en démord pas : on l'accuse à tort, elle a les mains propres. On la confond. Elle le jure en pleurant, une main sur le cœur. Dans sa dernière partie, le film un peu bricolé (la caméra filme le plus souvent des conversations entre la réalisatrice et sa tante enfuie en Australie par Skype interposé) prend une dimension tragique, à mesure que la possible distorsion entre la réalité historique et la version obstinée de la tante apparaît au grand jour. Qui croire ? Tous les témoins filmés ont eux-mêmes trempé dans les sombres accommodements du renseignement chilien. On se retrouve pendu aux témoignages des uns et des autres, aux conclusions des journalistes, aux rebondissements des révélations de la presse tandis que l'étau se resserre autour de la vieille dame si théâtrale. Où s'arrête la mauvaise foi et où commence la psychiatrie ? Quelle dimension secrète peut atteindre le mensonge dans une tête un peu faible ? Une réalité tronquée peut-elle vraiment se substituer aux faits ? Non, vraiment, les dictatures du passé n'ont pas fini de nuire.