- Tout de même, comment avez-vous pu mêler votre sang à celui de ce sauvage ?
- On ne regarde pas comme sauvage l'homme qui partage votre malheur.
Avant de débuter, il est important de rappeler un élément historique qui me semble pertinent
Le Pacte des Loups relate avec une intensité haletante la légende française la plus célèbre au monde sur la bête du Gévaudan. Cette histoire palpitante retrace les attaques sauvages d'un animal qui a terrorisé des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants pendant plusieurs années, de 1764 à 1767. Malgré les efforts acharnés des troupes royales pour la neutraliser, la bête a réussi à échapper à la capture pendant des années, étendant rapidement son territoire pour devenir un problème national. Encore aujourd'hui, le mystère plane sur l'identité de la personne qui a finalement tué la bête et sur sa véritable nature.
L'histoire fascinante de la bête du Gévaudan est tout sauf ordinaire et continue de susciter l'intérêt des gens des siècles après les faits, tant de nombreuses questions entourent cette histoire. Le mystère entourant l'identité de la créature qui a terrorisé le Gévaudan continue à susciter l'imagination et à alimenter le folklore. Était-ce un démon, un loup-garou, un ours, un loup, un tueur en série ou même la divagation de centaines de personnes ? Le Pacte des Loups apporte une réponse à cette question en proposant une fiction fantastique librement inspirée des faits historiques pour révéler une part de vérité, créant ainsi une oeuvre épique qui met en valeur notre patrimoine. Le cinéma fantastique d'action français trouve enfin sa référence.
Maintenant place à mon avis : un film souvent mésestimé mais pourtant très bien inspiré
Le Pacte des loups, réalisé par Christophe Gans, est une œuvre épique et romanesque d'une grande richesse symbolique et thématique. À sa sortie, le long-métrage a surpris par sa fraîcheur et sa démesure, rivalisant aisément avec les productions hollywoodiennes. La grande variété d'influences artistiques présentes dans le film témoigne de l'imprégnation du cinéaste, qui combine habilement des genres différents pour créer un spectacle surprenant et difficile à catégoriser. Le Pacte des loups se concentre sur l'anormal pour traiter des thèmes universels, ce qui en fait une œuvre riche en significations et en interprétations possibles. Une démonstration de savoir-faire cinématographique, témoignant de l'investissement et de la passion de son réalisateur pour le cinéma international. Un bouquet d'influences offrant une production riche et variée, difficile à catégoriser mais qui ne laisse pas indifférent. On y retrouve un mélange entre l'histoire vraie, les arts martiaux chinois, une enquête occulte à la Sherlock Holmes, des éléments horrifiques, une créature fantastique, une dramaturgie bien présente, des personnages marquants tels qu'un Indien Iroquois et des aristocrates français, ainsi qu'une touche d'érotisme accentuée par des relations incestueuses.
L'intrigue est captivante, se déroulant dans une ambiance de suspense et d'enquête au cœur d'un 18ème siècle réaliste, grâce aux décors, aux costumes et aux maquillages minutieusement sélectionnés pour plonger le spectateur avec crédibilité dans cette période trouble. Les magnifiques paysages de la lande française sont sublimés par de superbes plans, avec des brouillards et des étangs marécageux qui rappellent le travail soigné de la Hammer. Certains lieux utilisés pour certaines scènes sont d'une beauté à couper le souffle. Le cadre spectaculaire de l'affrontement final est un exemple parfait (parmi d'autres) de l'excellent travail de mise en scène proposé. Une réalisation d'une grande qualité, avec des plans en contre-plongée magnifiques et une photographie soignée de Dan Laustsen. Il est évident que le réalisateur a mis beaucoup de travail et de passion pour créer un univers complet et riche, avec des personnages charismatiques et bien développés sur le plan dramatique. La mise en scène est efficace et audacieuse, avec des plans techniques ingénieux qui utilisent les jeux d'ombres et les contrastes nuancés pour produire une image superbe. Exemple, avec la scène où le dresseur de la créature, masqué de sa tête de démon, retire la lame plantée dans le cou de la bête et la fait hurler. Une séquence intense offrant une illustration saisissante du soin apporté à chaque plan. Une conception gothique et inquiétante savamment entretenue, offrant une immersion totale dans ce monde lugubre. Si les effets spéciaux peuvent sembler datés aujourd'hui, ils ont cependant été plutôt bons pour l'époque, permettant de créer une créature sauvage et démoniaque suffisamment mémorable, bien que sans flamboyance excessive.
Les musiques composées par Joseph LoDuca, qui avait auparavant collaboré avec le réalisateur Sam Raimi, sont tout simplement remarquables. La partition est d'une qualité irréprochable et l'on pourrait en dire énormément à son sujet. Chaque titre contribue de manière significative à l'histoire, offrant des pièces musicales superbes, à la fois traditionnelles et populaires, qui marquent profondément l'esprit du spectateur. Le titre choisi pour la scène d'ouverture (à écouter dans son intégralité avec les autres pistes), lorsque les deux héros arrivent sous une pluie battante dans la région du Gévaudan, est absolument génial. Il est joué à la "Luth", un instrument à cordes pincées proche de la guitare, avec une tonalité caractéristique de la musique occitane. On peut également entendre d'autres instruments tout aussi variés, tels que la cithare, la bombarde, la flûte à bois et même le shofar, témoignant de la richesse et de la diversité de l'expérience musicale offerte. Le titre "Lady of Winter" est sans aucun doute le plus enchanteur de la bande originale. Il est même accompagné d'un magnifique chant lyrique intitulé "Cleansing/Nettoyage", utilisé à la fin du film pour ajouter une voix émouvante qui vous transporte avec émotion, tel un murmure à la fois triste et apaisant. D'autres titres de la bande originale sont également à retenir, tels que "The Den of The Beast - Mani's Pyre/La tanière de la bête - Pyre de Mani", "Naming Names/Le masque tombe" et "Savage Duel/Duel Sauvage".
Bienvenu au pays de la bête mon seigneur. Et prenez garde aux pièges à loups.
Les acteurs sont non seulement charismatiques mais aussi très investis, cela se ressent dans leur jeu tout au long du film. Il convient de souligner qu'aucun d'entre eux n'a eu recours à une doublure pour les séquences d'action. Chacun d'entre eux est emblématique à sa manière et certains parviennent même à se hisser au rang de personnages cultes :
Samuel Le Bihan livre une prestation convaincante dans le rôle de Grégoire de Fronsac. Le traitement de son personnage est à la fois touchant et saisissant, offrant une expérience de visionnage fascinante. D'abord présenté comme un enquêteur hors pair, naturaliste du Jardin du Roi, doté de bonnes manières et d'un charme intellectuel pendant plus de la moitié du récit, Fronsac évolue ensuite vers un ton plus grave, charismatique et meurtrier. Initialement sceptique quant à l'existence de la créature, il aborde son enquête du point de vue de la science plutôt que des légendes, ce qui ajoute de la crédibilité. Une scène remarquable lors d'un dîner avec l'aristocratie met à l'épreuve ses compétences en matière de science, alors qu'il présente une truite à fourrure - bien entendu fausse - faisant preuve de son expertise. Au fil de l'histoire, la bête devient rapidement un problème secondaire pour Grégoire de Fronsac, qui se concentre plutôt sur l'identité de son maître masqué au visage terrifiant.
Vincent Cassel est troublant dans le rôle cynique de Jean-François de Morangias. Jouant le personnage sadique et perturbant avec une grande maîtrise, il est l'un de mes antagonistes préférés dans le cinéma. Il a une présence véritablement malsaine et incarne totalement son personnage avec nuance, montrant un esprit perturbé et souffrant d'un mal mystérieux qui ajoute au mysticisme qui l'entoure. Tous les détails, tels que son costume, son masque, son pistolet à balles d'argent (fondé sur une réalité historique), son bras diabolique et son épée en os, sont méticuleusement travaillés, alimentant le folklore et l'arrière-plan de ce personnage occulte, satanique et profondément tragique.
Mark Dacascos incarne de manière mémorable Mani, l'Indien Iroquois qui est à la fois le compagnon, l'ami et le frère de sang de Grégoire de Fronsac. Bien qu'il parle peu, il se distingue par sa prestance et son charisme. L'acteur est formidable dans ce rôle, apportant une aura mystérieuse et envoûtante qui le distingue des autres personnages. Il est à noter que pendant une grande partie du film, Mani porte une peinture de chasse noire magnifiquement réalisée lorsqu'il traque la bête.
Émilie Dequenne joue le rôle de Marianne, la sœur de Jean-François, la première fois que je la découvre à l'époque et... wow ! Elle apporte une douceur et une touche de romantisme au récit qui est appréciable à travers une posture envoûtante.
Sylvia, jouée par Monica Bellucci, est tout simplement incroyable. Elle est envoûtante de sensualité, cruelle et froide, et apporte beaucoup d'érotisme et de nuances en tant qu'agent secret face à la confrérie vaudoue. Son costume noir et son éventail sont splendides, même si on aurait aimé la voir plus en action dans son rôle d'espionne "Made in moineau rouge".
Enfin, Jérémie Renier et Jacques Perrin, incarnent le même rôle du jeune Marquis à deux époques différentes, lequel est le conteur de l'histoire. Une belle performance autant pour l'un que l'autre.
Les certitudes rendent les hommes aveugles et fous. Elles peuvent dévorer leur cœur et les changer en bête.
Les scènes d'action sont particulièrement dynamiques et saisissantes, Christophe Gans parvient avec brio à retranscrire la rage et l'intensité des différents combats. Des confrontations accompagnées d'une narration savamment construite, avec des répliques particulièrement réussies. Le dernier chapitre est impressionnant, offrant plusieurs scènes épiques, dont l'une de mes préférées est celle où Fronsac saute en faisant un retourné acrobatique sur lui-même depuis le sommet d'un bâtiment en ruine, avant de se poser avec élégance, un genou à terre, tout en dégainant ses deux épées qu'il fait tournoyer sur elles-mêmes. Cette séquence est accompagnée des mots de Morangias, qui prononce : *« Amen »".
S'ensuit un duel final incroyable ! L'ultime face-à-face entre Fronsac et Morangias, qui avant de croiser le fer échange une ultime conversation :
« - Ton fantôme que tu es... » Il retire sa cape. « ...Je vais te couper en deux. » Il dégaine son épée. « Tu vois, tu n'auras plus besoin de retenir tes coups. »
« - Je n'en n'avais pas l'intention. »
« - Trop tard, Fronsac, la bête est immortelle maintenant. »
« - Elle, peut-être, mais pas toi. » Le duel commence.
Un final grandiose !
Pour conclure, je souhaiterais aborder le message poignant que le réalisateur a voulu transmettre à travers cette œuvre. Peu de personnes le savent, mais la fin heureuse où Fronsac et Marianne s'enfuient ensemble sur un voilier au coucher de soleil n'est qu'une illusion imaginée par le Marquis avant sa mort. En réalité, malgré les pouvoirs magiques du bracelet de Mani, la jeune femme ne se réveille pas. Cette vérité morbide est soulignée par la voix off de Christophe Gans qui vient clôturer son film. Bien que le réalisateur ait décidé de donner une fin plus positive en laissant le Marquis imaginer une autre issue, cela n'enlève rien à la profondeur tragique du message qu'il souhaite transmettre.
Dans la scène finale, deux messages sont présents pour confirmer les propos du réalisateur. Après avoir été trahi et tué par Fronsac, Jean François de Morangias essaie de récupérer son épée et hurle : « Marianne regarde ! » avant de recevoir le coup final. Fronsac lui répond alors : « Marianne n'est pas là, pauvre fou. » Jean François réplique : « Tu nous as uni à jamais, chevalier », avant de mourir. Ces propos confirment le message tragique de l'histoire, et le commentaire du cinéaste sur la fin fantasmée laisse entrevoir une vision plus nuancée de l'œuvre.
CONCLUSION :
Le Pacte des loups est le fruit du travail ambitieux, audacieux et démesuré de Christophe Gans qui révèle son talent indéniable à créer des œuvres divertissantes et riches en substance et en technicité. Le film offre une succession de séquences épiques soutenues par des personnages iconiques superbement interprétés, des musiques grandioses, une mise en scène spectaculaire et une photographie qui met en valeur les décors et les costumes magnifiques. Le mélange réussi de genres cinématographiques procure un plaisir réel au spectateur. Bien qu'il ne soit pas exempt de défauts, ce long métrage est un véritable chef-d'œuvre à mes yeux.
Un film brillant, terriblement brillant !!!
C'est en l'an 1764 que la bête apparut sur nos terres, et les fit siennes. Un an plus tard, sa renommée dépassait les frontières de notre province et l'on commençait à penser que nul mortel n'en viendrait jamais à bout. Sous ses assauts, le pays de Gévaudan s'enfonçait peu à peu dans les ténèbres.