Le mouvement est à la fois très simple et d'une richesse envoûtante : les champs de blé ondulant sous le vent de la magnifique scène finale auront ruisselé pendant une heure de la terre des paysans vers les machines des meuniers. Le pain sert de support à cette évocation très poétique de la société portugaise des années 50, d'une poésie lyrique digne du cinéma soviétique des décennies antérieures, tel que l'on montré Eisenstein, Dovjenko ou Kalatazov. La caméra évolue de la terre vers les machines, du spirituel vers le manuel, en croisant sur sa route tous les métiers impliqués en faisant le tableau d'un travail continu, presque infini, pour labourer, semer, moissonner, moudre, panifier, et enfin irriguer les boulangeries, les pâtisseries, les restaurants, pour in fine orner la table des paysans qui en ont récolté les céréales.
Derrière le titre d'un film presque désuet, très générique, Manoel de Oliveira embrasse une multitude de portraits, individuels et collectifs, pragmatiques et ésotériques, minutieux et globaux. On passe beaucoup de temps du côté des minotiers, célébration de la science au service de l'alimentation (à une époque manifestement révolue, bien éloignée des problématiques contemporaines à ce sujet), mais on fait aussi un détour par les rues et les enfants affamés qui salivent derrière une vitrine remplie de victuailles. Le point central de ce documentaire reste toutefois le travail et les travailleurs, et en dépit de certains passages un peu longs il suscite une fascination nette à de nombreux niveaux, voyage dans le temps, évocation d'une culture voisine, et surtout observation méthodique de toute la chaîne aboutissant sur une miche. Un festival de matières, de la terre au blé, puis à la farine, puis au pâton, et enfin au pain. Les séquences dans les champs, pour récolter le blé, semer les graines à la volée ou simplement observer les épis évoluer au gré des courants, ont clairement ma préférence.
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