Ce documentaire est vendu comme montrant la vie quotidienne de prostituées au Cambodge sans aucun commentaire du réalisateur. Les critiques font tous le même éloge d’un ton emphatique : “Rithy Panh redonne une dignité aux prostituées”, “Rithy Panh donne la parole aux prostituées cambodgiennes”.
C’est vrai seulement en partie. Ce sont bien des prostituées du White Building à Phnom Penh qui interprètent leurs propres rôles. Par contre les images (lumière, angle, cadrage, montage, etc.) et les dialogues entre les prostituées sont construits par lui. Tout est très élaboré en amont de la prise de vue et du son. Les textes, travaillés probablement à partir d’entretiens, semblent justes sur le fond, mais ils sonnent faux dans la forme car trop démonstratifs et donc peu naturels.
La scène où le rabatteur récite le texte de l’économie du bordel avec un jeu de poupées donne à voir la manipulation [11’16-13’26]. Rithy Panh a avoué qu’il avait fourni ce matériel didactique, mais n’a naturellement pas dit qu’il avait aussi écrit le texte à partir de propos recueillis pendant son enquête. Il précise dans une entrevue “C’est très compliqué dans ma tête en fait entre fiction et documentaire” [Les gens de la rizière - Interview de Rithy Panh 17’39].
Toutes ses réserves faites, ce docu-fiction vaut le détour d’un point de vue sociologique et historique car le White Building a disparu. Je recommande surtout l’analyse de Leslie Barnes.
Lire :
• Interview Rithy Panh, Cinemasie, 2004.
• Leslie Barnes, Objects of pleasure - Epistephilia and the Sex Worker in Rithy Panh's Le papier ne peut pas envelopper la braise, Academia, 2015.
• Les gens de la rizière - Interview de Rithy Panh, Vimeo, 2016.
• À Phnom Penh, le White Building s’efface et toute une époque avec lui, Courrier international, 2017.
• Hing Tsang, Drawing, Diagrammatic Experimentation and Deliberative Agency in Rithy Panh’s Le papier ne peut pas envelopper la braise, Academia, 2018.