Or, noir et sang
Qu’est-ce qui fait d’un film un très grand film ? Comment expliquer que s’impose à vous dès le premier plan-séquence, qui part du visage de l’interlocuteur pour très lentement révéler le Parrain,...
le 25 nov. 2013
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Qu’est-ce qui fait d’un film un très grand film ?
Comment expliquer que s’impose à vous dès le premier plan-séquence, qui part du visage de l’interlocuteur pour très lentement révéler le Parrain, une épaisseur et une puissance qui ne se démentiront pas un seul instant sur les trois heures que va durer cette saga ?
Le Parrain est un film total.
Film sur la présence masculine et le rôle du patriarche, de celui qui meurt lentement et passe le pouvoir à ceux qui apprennent, et souvent se trompent. Film de la naissance d’un cinéaste, du Nouvel Hollywood, d'un personnage et d’un acteur en la personne d’Al Pacino.
Film de la dignité et de la violence feutrée, filtrée par les codes d’un monde qui sombre lentement. De nombreuses scènes intimistes, noir et or, donnent à voir les coulisses du pouvoir, la tragédie des décisions et la progressive dureté qui marque les traits. Les silences et les regards atteignent une intensité rare. En ce sens, Michael Corleone est l’opposé radical de Tony Montana, qu’il jouera dix ans plus tard : issu d’une lignée, intégré dans une famille, pétri de principes, calme et inébranlable. Un homme dont la naissance est une proposition qu'il ne peut pas refuser.
C’est un monde à la fois pétrifié par la tradition, sicilienne, catholique, mafieuse, où les rites ponctuent la vie des protagonistes (mariages, élections, distribution des rôles, enterrements…) et d’une instabilité effrayante. Chaque déplacement occasionne la crainte d’un assassinat, inattendu et finalement redouté en permanence. Coppola ne propose pas un film épique, un western déplacé dans la Cosa Nostra. La durée, les silences contribuent à l’émotion et la fascination pour ces codes et cette violence.
L’image est superbe : son grain, ses dorures ont tout du classique instantané. Certains plans sont sublimes, comme celui de la scène où cet homme pisse dans un champ pendant qu’on assassine le passager de sa voiture. Au-dessus des blés qui ondulent, la statue de la liberté, garante et observatrice d’un monde qui se déchire.
Car le film est aussi celui de la fin d’un monde : Brando, dépassé, passe le relai tout en refusant de mourir par ceux qui voudraient enterrer son époque. L’arrivée de la drogue, la légalisation des affaires, la mafia face au capitalisme : c’est une histoire du XXeme siècle incarnée par de grands hommes qui s’avèrent être de dignes ordures, et la fascination qu’ils exercent dit toute l’ambivalence de la puissance du cinéma.
Un très grand film, enfin, aussi, ce sont des moments de bravoure qui s’impriment durablement sur la rétine. C’est cette séquence incroyable en montage alterné du baptême et de l’exécution de tous les grands pontes. Mais c’est aussi la mort du parrain dans les plants de tomates, sous les rires d’un enfant. Le public et l’intime, la gloire et la famille, les silences des pères et les cris des enfants.
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le 25 nov. 2013
Modifiée
le 21 juin 2013
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