Quand Kon Ichikawa adapte un récit de Yukio Mishima (lui-même inspiré d'un événement survenu en 1950), le résultat tranche assez fortement dans le ton par rapport à ce qu'on peut connaître par ailleurs, que ce soit les films en temps de guerre (Feux dans la plaine 1959, La Harpe de Birmanie 1956) ou les films plus intimistes (Le Pauvre Cœur des hommes 1955, Le Fils de famille 1960, La Vengeance d'un acteur 1963). Ce n'est pas dans la structure narrative qui éclate les différentes époques de l'histoire en enchâssant flashbacks dans flashbacks, format auquel on peut en l’occurrence être déjà habitué chez lui, mais bien davantage dans le carrefour de plusieurs approches, le caractère intimiste du portrait de cet adolescent éduqué dans le temple du Pavillon d'or de Kyoto croisé avec la thématique spirituelle du respect de la religion bouddhiste. Les faits ne sont pas cachés : dès l'introduction, on apprend que le temple a été incendié et que le principal suspect (Goichi Mizoguchi) a été arrêté, après ce qui ressemble à une tentative de suicide. Tout l'enjeu du film sera donc, on s'en doute, d'en apprendre plus sur la vie de ce personnage et de percevoir les raisons de ce geste.


En un sens, je trouve qu'on retrouve un thème propre à Mishima dans la révolte silencieuse de cet élève, déçu par son entourage et par le monde corrompu des adultes, comme si l'enfance représentait une forme de pureté capable de déceler la perversion du monde et de brûler un symbole d'élévation spirituelle qui ne serait pas mérité selon lui par les personnes qui le fréquente. Dans la progression de cette réflexion, l'acteur Raizō Ichikawa alors âgé de 27 ans (et sans lien familial avec Kon a priori) incarne le personnage Goichi Mizoguchi souffrant de nombreux troubles, à commencer par son bégaiement dont les origines possibles sont esquissées à travers un spectre large : la scène traumatisante de son enfance où il avait surpris sa mère en pleine adultère, alors que son père était présent et déjà gravement malade, un rapport au monde et aux autres globalement compliqué, un sentiment d'imposture au sein de ce temple dont il ne partage pas intensément la religion... En tout état de cause, les motivations de l'incendiaire resteront assez vagues, ou du moins plurielles, là où sa perplexité face au monde qui l'entoure sera plus tangible, notamment au travers de sa rencontre avec le personnage de Tokari — Tatsuya Nakadai en infirme manipulateur. Le Pavillon d'or arbore une forme d'austérité un peu trop forte pour être aisément aimable, mais le regard que Ichikawa porte sur cette conception atypique du beau provoquant in fine l'incendie volontaire d'un tel monument construit un cheminement intéressant autour d'une forme de désintégration morale.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Pavillon-d-or-de-Kon-Ichikawa-1958

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le 23 nov. 2023

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