La grande révolution qu’est Little Fugitive est d’ordre esthétique et narratif : en se plaçant à hauteur d’enfants, en réduisant les adultes à des corps incomplets et inscrits dans des lieux précis – attendre le retour de la mère, chercher l’animateur qui fait des tours de poneys, solliciter un vendeur de glaces pour connaître l’heure, se rendre auprès d’un policier qui tient une permanence –, le film réussit à nous restituer ce point de vue qui fut le nôtre jadis, invente une forme à même de signifier l’enfance dans son insouciance, dans ses obsessions, dans sa liberté. L’enfant « jouit du présent », selon la formule employée par La Bruyère (« De l’Homme », remarque 51) pour le caractériser ; aussi l’unité de temps est-elle associée à une défilade de lieux, d’abord proches de la maison à Brooklyn puis éloignés, au bord de la mer : une seule journée, et tant d’activités à réaliser ! devenir cowboy comme dans le feuilleton regardé le soir à la télévision, collecter des bouteilles vides contre quelques pièces d’argent pour lancer sa petite affaire et se lancer dans la vie professionnelle, fuir le domicile familial et la culpabilité dans la fausse exécution du frère… La mobilité d’une caméra portative 35 mm assure la fluidité de l’action et l’inscription du personnage principal parmi la réalité : pas de figurants, mais un souci d’authenticité qui situe le long métrage entre le néoréalisme et une Nouvelle Vague qui n’a pas encore vu le jour.
Voilà donc une œuvre-source qui inspira bon nombre de cinéastes, tels François Truffaut et Jean-Luc Godard aujourd’hui disparu. Le talent de photographes du couple de réalisateurs offre une suite de plans somptueux qui échappent, par la démarche d’un filmage pirate ou caché, au clinquant chichiteux. Un chef-d’œuvre.