Alors que les studios d’animation hollywoodiens (Pixar, DreamWorks Animation et Blue Sky Studios) se livrent une bataille sans merci depuis quelques années, le réalisateur Mark Osborne (Kung Fu Panda) a préféré laisser ces grandes firmes se tailler la part du lion pour se tourner vers la France (la société Onyx Films). Plus précisément vers l’une de nos œuvres littéraires les plus intemporelles : Le Petit Prince de l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry. Un pari rudement risqué, étant donné que le conte a déjà été adapté maintes et maintes fois sous divers formats. Pari réussi ?


Première chose qui en étonnera plus d’un (surtout ceux qui n’auront pas vu les bandes-annonces) et qui s’avère être la meilleure idée de cette adaptation : Le Petit Prince version 2015 n’est pas un banal copié-collé du livre. Au contraire, celui-ci sert de prétexte à une toute autre histoire, celle d’une petite fille qui, vivant dans un environnement où les enfants doivent se conditionner tels des psycho-maniaques afin de passer à l’âge adulte (travailler sans relâche, ne pas s’amuser, vivre isolé des autres dans un endroit gris et glacial…), va retrouver son enfance au contact d’un aviateur excentrique. Pourquoi intituler ce long-métrage Le Petit Prince, dans ce cas-là ? Parce que les deux récits, qui s’entremêlent pendant 1h50, racontent la même chose. Qu’ils narrent exactement la même histoire, à leur manière.


D’un côté nous avons l’œuvre de Saint-Exupéry, mise en image avec une animation en stop-motion de très grande qualité. Qui rend hommage à l’auteur via un côté papier mâché fort séduisant, parvenant à restituer l’aspect fabuleux, poétique et allégorique de cette aventure. Les fans absolus y retrouveront avec délice les célèbres passages et personnages. Se délecteront d’entendre de vive voix des paroles qui ont fait le charme du conte (« Dessine-moi un mouton » ou encore « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux »). De l’autre les vacances d’été de la jeune fille, qui représente notre société actuelle de manière assez sceptique et qui reprend sans fausse note ni dénaturation l’histoire et les thématiques de Saint-Exupéry. Si l’animation numérique ne s’avère pas aussi aboutie que celle des récents Vice-Versa et Les Minions, l’ambiance enchanteresse répond bien présente, notamment grâce à la BO (les compositions d’Hans Zimmer, les chansons de Camille Dalmay), les couleurs et les effets de mise en scène (le ralenti sur le papillon, par exemples). Dans les deux cas, nous avons affaire à deux trames parallèles (le conte servant à appuyer les propos de l’intrigue principale) qui vont se rejoindre sur la fin de manière astucieuse et un chouïa spectaculaire visuellement parlant. Au point de faire croire que l’aviateur du long-métrage pourrait bien être Saint-Exupéry lui-même (qui sait ?). Vous l’aurez compris, Le Petit Prince n’est pas une simple adaptation. Il s’agit d’un travail d’écriture inattendue et poussée qui reprend l’essence principale du conte : prévenir les jeunes de ne pas perdre leur âme d’enfance en grandissant. Que même si les adultes font des choses étranges dans la vie, ils ont un jour été des enfants, mais que certains l’ont oublié en prenant de l’âge.


Mais il faut bien avouer que cette prouesse d’écriture s’avère être, dans un autre sens, un petit défaut, surtout en ce qui concerne le jeune public. En effet, avec autant de métaphores, allégories et autres figures de style en poche, Le Petit Prince de Mark Osborne fera perdre le fil à beaucoup d’enfants. Si ces derniers pourront sans l’ombre d’un doute s’enthousiasmer devant tant de poésie et de finesse, ils poseront surtout des questions à leurs parents, n’ayant pas spécialement compris certains pans de l’histoire (la dernière partie du film, la véritable raison du titre par rapport au scénario…). Il est vrai qu’un film d’animation ne vise pas spécialement les jeunes spectateurs et que ce sont plus les adultes qui se retrouveront avec ce long-métrage. Mais nos chères petites blondes étaient pourtant les cibles mêmes de la thématique du récit (ne pas perdre son âme d’enfance, sa capacité à s’émerveiller). Et malheureusement, face à tant de complexités d’écriture, ils chercheront plus à comprendre alors qu’il suffit juste de se laisser bercer par le récit. De s’émerveiller, justement, pour en saisir le sens.


Il faut bien avouer que cette dernière remarque s’appelle du chipotage. Car si cela peut perturber le visionnage des jeunots, l’ensemble se montre être à la hauteur des espérances en se présentant tout bonnement comme la meilleure adaptation que Le Petit Prince ait pu avoir depuis sa parution (1943, ce qui ne rajeunit pas !). Et si vous ne connaissiez pas l’œuvre d’origine, vous découvrirez alors un film d’animation réussi, hautement intelligent et d’une puissance poétique indiscutable devenue rare chez la majorité des projets hollywoodiens (même si Pixar a récemment prouvé le contraire avec Vice-Versa). Un conte, un vrai !

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le 7 août 2015

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