Sinan a terminé ses études, retourne dans sa région, repart de temps en temps, revient toujours, se balade, observe, critique, provoque, discute, se dispute, blesse parfois, ironise, rêve. Il se cherche un avenir plus signifiant que les habitants de sa région, et surtout, plus reluisant que son père, qu'il regarde avec la sévérité de la jeunesse délestée de ses illusions d'enfant, irrité par cet homme qui a baissé les bras et se laisse aller à ses travers.
Un beau conte initiatique qui déroule l'universelle quête de sens, la construction personnelle en opposition au père qu'on juge défaillant, les mécanismes familiaux qui lassent mais auxquels on ne peut s'empêcher de participer, et de déception en déception, le cheminement lent vers l'acceptation d'une vie qui ne sera ni exceptionnelle, ni simple, ni évidente, mais toute personnelle, probablement chaotique, et pas si différente de celle des autres auxquels on est lié et dont on est fait, quoi qu'on en pense.
[SPOILER] La scène du puits dans le paysage brumeux à la fin du film confine à la poésie : le frisson affreux à la vue de Sinan pendu à la corde, le réveil du père assoupi puis l'attente interminable qu'il découvre le drame. L'ultime scène de cette séquence nous détrompe : Sinan continue à creuser le puits de son père, entamé il y a longtemps par ce dernier contre l'avis de tous, puis abandonné par découragement.
Sinan fantasme la mort comme une fuite d'une vie décevante et absurde. Finalement, il arrive au point charnière de la jeunesse : l'abandon de ses illusions, l'acceptation douloureuse mais pleine de leçons que la vie, définitivement, ne sera pas parfaite, ne sera jamais ce à quoi on s'attend, jamais toute tracée. Personne n'est exemplaire, personne n'a de réponse toute faite. Sinan comprend peut-être qu'il faut accepter ses failles et celles des autres, accepter de se confronter à la réalité, accepter le chaos, les hasards et ses propres manquements qui modèlent le destin, quoi qu'on ait prévu.
Ce qu'il a pris pour de la résignation et de la faiblesse chez son père lui apparaît comme une lutte éperdue contre l'absurde : il l'aidera à creuser son puits délaissé, refusant que son père abandonne la partie. Il n'y a pas de petit rêve.