David Lean nous propose un affrontement entre deux fortes personnalités, deux vieilles "culottes de peau", le colonel Saïto, commandant le camp de prisonniers et le colonel Nicholson, commandant les prisonniers anglais.
Ce n'est pas seulement l'affrontement de deux hommes, mais de deux cultures qui ne se comprennent pas, deux conceptions de l'honneur, deux conceptions du courage et du devoir. Mais derrière ces différences culturelles, les deux hommes sont très semblables, têtus, férocement attachés à leurs valeurs. Ils en viendront à se respecter, mais sont si obstinés à faire plier l'autre qu'ils finiront par trahir l'un comme l'autre les valeurs fondamentales de leur camp, car au fond ils ne désirent rien d'autre que "mourir honorablement".
A partir du moment où, dans une impasse, le colonel Saïto décide de confier la construction du pont aux officiers britanniques, il se condamne et le sait. Soit ils échouent et c'est son échec, soit ils réussissent et c'est son humiliation. Dans un cas comme dans l'autre ce samouraï doit se faire sepuku.
Obnubilé par l'ambition de laisser une trace dans l'histoire, et la volonté de faire céder son geôlier, le colonel Nicholson va bien au-delà de ce que demandent les japonais pour réaliser son grand-œuvre, jusqu'au moment où il réalise qu'il a trahi son pays comme ses propres valeurs.
Face à ces tenants de la mort, le commandant Shears représente le goût de la vie, tandis que le commandant Clipton est le témoin raisonnable de cette folie.
Sur la base du roman de Pierre Boule, David Lean construit un des meilleurs films de guerre de toute l'histoire du cinéma. Nous nous laissons entrainer aux côtés d'un extraordinaire Alec Guiness avant de comprendre toute l'absurdité de la guerre. Pourtant nous devrions être alertés dès l'arrivée de ce qui reste du régiment anglais, prisonnier, épuisé, dépenaillé mais glorieux comme s'ils avaient gagné, marchant fièrement au pas et sifflant "La marche du colonel Bogey", un air guilleret en décalage absolu avec la situation. Tout cela devant un officier japonais pour qui la reddition est le comble du déshonneur.
Le véritable héroïsme ne serait-il pas de savoir sacrifier l'œuvre de sa vie? Sur ce point, David Lean nous laissera dans le doute avec une fin ambigüe.
C'est en hommage à cette ambiguïté que j'ai modifié mon titre. Le choix vous appartient donc de décider à qui ou à quoi rapporter le qualificatif.