L'Allemagne déleste
Il y a en fait deux films dans ce Pont des Espions, et le plus réussi des deux n'est pas celui auquel on pourrait penser. La première partie est, de fait, bien mieux qu'une simple mise en place...
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le 9 févr. 2016
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D'abord, il faut dire que ça fait vraiment plaisir de voir Spielberg revenu à un niveau acceptable. Après des années passées à faire du n'importe quoi indigne de son talent, voir un tel film, c'est un régal. Certes, Le Pont des Espions ne sera jamais dans le Top 5 des meilleurs films du cinéaste, mais c'est une belle œuvre, et rien que cela, c'est notable.
Le film se divise en deux parties bien distinctes, qui se différencient géographiquement (USA d'un côté, Berlin de l'autre) mais aussi par l'action elle-même : polar judiciaire au début, espionnage "Guerre Froide" ensuite.
Si la Guerre Froide constitue une période historique formidable et un cadre passionnant pour des films potentiellement intelligents, si la reconstitution de Berlin à l'époque de la construction du Mur est vraiment bien foutue, j'avoue avoir eu une préférence pour la première partie. Pour la résonance actuelle de sa réflexion.
Cette première partie nous raconte l'histoire de James Donovan, avocat américain spécialisé dans les assurances, qui est commis d'office pour défendre Rudolf Abel, un homme accusé d'être un espion soviétique. D'emblée, on ne cache pas qu'il s'agit d'une parodie de justice : il s'agit de procurer à Abel un défenseur pour que les apparences d'un procès équitable soient respectées, pour qu'il ne puisse pas y avoir de reproches juridiques faits à un procès pourtant bâclé et rempli d'incohérences. Le rôle de Donovan est prévu pour être purement décoratif : qu'il ne se mette surtout pas à vouloir faire son métier !
Et là se dresse le portrait d'un pays en temps de Guerre. Un pays qui décide de sacrifier la justice au nom de la sécurité. Un pays qui, sous prétexte que la menace d'une attaque se fait de plus en plus pressante, bafoue les droits fondamentaux de toute démocratie, reniant les propres lois de ses pères fondateurs. Même si c'est un hasard (on peut plutôt supposer que Spielberg pensait à l'Amérique post 11-Septembre), le parallèle avec une France de l’état d'urgence permanente devient vite évident. que doit-on faire face à un ennemi ? peut-on rester démocratique avec des adversaires qui refusent les règles démocratiques ? Ou faut-il chercher à punir à tout prix, quitte à ne pas respecter les règles communément admises ?
Parce que prétendre à un procès équitable envers un Est-Allemand accusé d'espionnage, dans les USA de la fin des années 50, ça ressemble beaucoup à une blague. Donovan va le découvrir, lorsque ses requêtes seront systématiquement rejetées, lorsque le juge donne l'impression d'avoir déjà décidé de ce qu'il allait faire, lorsque les campagnes de presse se multiplient, faisant d'Abel et de son avocat les deux hommes les plus détestés du pays, et lorsque la CIA veut obliger l'homme de loi de divulguer les entretiens qu'il a avec son client, au mépris de toute loi.
Même si la reconstitution fait parfois un peu trop "images d’Épinal", la description des USA de l'époque est passionnante : climat anxiogène, peur délirante entretenue par l’État (jusqu'à faire de la propagande dans les écoles) et les médias, etc.
Au milieu de tout cela, est-il possible de faire entendre le droit ?
La seconde partie, tout aussi riche, va cependant sur un autre terrain : celui des relations internationales. Donovan se retrouve dans un jeu d'échec complexe entre trois pays. Spielberg parvient, grâce à la fluidité de sa narration, à faire passer des schémas complexes et à les rendre accessibles aux spectateurs.
Demontant les mises en scènes officielles, le cinéaste offre une vision désabusée d'une Guerre qui est surtout une question d'influence et de reconnaissance internationale.
Nous avons :
_ l'URSS qui veut qu'on la croie démocratique
_ la RDA, qui veut qu'on la croie indépendante de Moscou
_ les USA, qui veulent qu'on les croie justes.
Renvoyons les deux côtés dos à dos, avec l'aide d'un casting irréprochable et d'un scénario écrit par les frères Coen (ce qui ne gâte rien), le cinéaste signe une belle réussite, son meilleur film (son seul bon film) depuis au moins dix ans.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Steven Spielberg : mon anthologie, Films de neige, Les meilleurs films de 2015 et Petits et grands écrans en 2016
Créée
le 26 janv. 2016
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