Après un premier film moyennement réussi ("Le Jour où le Cochon est Tombé dans le Puits"), Hong Sang Soo a visiblement ici l'ambition d'épouser dans sa forme même les flottements du désir, et l'amertume de son inachèvement : cet état vaporeux, somnambulique, convalescent et maladif, tranquillement désespéré, qui saisit les êtres vivant les jours consécutifs à une rupture amoureuse. "Le Pouvoir de la Province de Kangwon" révèle aussi un cinéaste de l'ivresse, de l'abus d'alcool (une constante en Corée ?) qui, après de brefs instants d'hystérie, plonge les protagonistes dans une prostration hébétée, expression visible de leur crise intérieure... Par rapport à ses débuts, Hong Sang-Soo manifeste pour la première fois une jolie maîtrise du plan et de la direction d'acteurs, et ce qui deviendra une constante dans son futur cinéma, un certain plaisir de la manipulation narrative : la construction double du récit, bien entendu, mais aussi des jeux un peu pervers avec l'attention du spectateur, comme l'épisode du meurtre de la touriste. Même si l'on est encore assez loin de la beauté de nombre de ses films ultérieurs, il est possible de deviner ici l'émergence d'un talent singulier.
[Critique écrite en 2004 et complétée en 2018]