"Le Premier Cri" est considéré comme le premier long-métrage qui lancera la fameuse Nouvelle Vague tchécoslovaque conjointement aux moult autres remaniements cinématographiques à l'international. Etonnant d'ailleurs qu'il ne soit pas plus connu que ça au vu de son importance historique. Jaromil Jires va définir les points d'orgue de ce mouvement, à savoir l'accent mis sur la recherche esthétique et la défiance envers la morale. S'il est vrai qu'une refonte sociétale salutaire a été initiée par une nouvelle génération aspirant à la liberté, il restait des reliquats conservateurs qu'il s'agissait de malmener. Pourtant, "Le Premier Cri" est tout sauf transgressif mais n'en est pas pour autant éloigné d'une critique acide du régime communiste. L'histoire va suivre le quotidien d'un couple de quidams le temps d'une journée. Un jour très particulier puisque la mère doit accoucher. La venue au monde d'un enfant qui renforcera (enfin en théorie... Sorry pour la petite touche pessimiste que je n'ai pas pu m'empêcher de mettre) leurs liens amoureux. De son côté, le père est un modeste réparateur de télévision.


Durant cette date cruciale, et alors qu'ils sont séparés par les contraintes de travail et médicales, ils vont se remémorer chacun de leur côté, par le biais de moult flash-backs, des instantanés de leur vie de couple. C'est l'occasion pour chacun de tirer un bilan, de s'évader vers un passé révolu, empreint de beaux souvenirs. Une rencontre impromptue, une complicité innée, les yeux de chacun se perdant dans le regard de l'autre. Jires filme l'amour de ses premiers émois jusqu'à la consécration qui fera d'eux une famille par la venue au monde de leur progéniture. Il y a une telle pureté, une telle sincérité dans la gestion des émotions, dans le déroulement de leur parcours qui ne peut laisser indifférent. Il n'y a rien de factice dans leur propre introspection, dans leurs expressions. Tout semble si naturel. Le bonheur de continuer une histoire d'amour avec cette petite note mélancolique des premiers jours de papillons dans le ventre.


D'autre part, malgré cette légèreté, il y a un arrière-plan beaucoup plus dérangeant. Le traumatisme des ravages du communisme n'est pas encore oublié. Et dans une séquence poignante, des enfants s'exprimeront sur la guerre. La visite scolaire d'un abri conçu pour que les foules puissent se réfugier en cas de conflit (en l'occurrence atomique vu le contexte dans lequel le monde se trouvait au début des années 60) cause une cassure dans le tableau idyllique de nos deux tourtereaux. La menace pourrait arriver n'importe quand pour réduire leurs espoirs à néant. Cette thématique ne sera que traitée très succinctement en étant toutefois amenée de manière brillante, donc sans être poussive, ni moralisatrice.


Autre gros point positif, c'est, comme je l'ai dit, le travail visuel à tomber à la renverse. Jires se fait plaisir dans sa mise en scène entre arrêts sur image (renvoyant in fine au livre d'images de la vie de Monsieur et Madame tout le monde), arts prépondérants, noir et blanc lumineux et montage dynamique avec ça et là quelques belles notes musicales. Une fois de plus, la Nouvelle Vague tchécoslovaque que je m'amusais à voir jadis comme un pur cliché de cinéphiles hipster me l'a une fois de plus fait fermer. Une ironie qui ne me dérange aucunement, bien au contraire, car il est en passe de devenir l'un de mes courants fétiches ! Décidément, quelle ironie !

MisterLynch
9
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le 30 juil. 2021

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MisterLynch

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