Ce film de 1961 réalisé par Henri Verneuil et dialogué par Audiard est basé sur un roman de Georges Simenon sorti en 1958 mais écrit en 57 et très largement remanié. Par exemple, le mythique discours du Président Beaufort devant l’Assemblée de presque 15 mn, ne figure absolument pas dans le roman, discours qui a nécessité 54 prises et qu’il a fallu en partie refaire à cause d’un problème technique (à la grande colère de Gabin d’ailleurs). C’est lors de ce discours qu’un député objecte qu’il existe des patrons de Gauche, Beaufort lui rétorque : « Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre » 😂 … Ce Président justement, c’est Emile Beaufort interprété avec maestria par Gabin, sur la fin de sa vie après avoir joué un rôle important dans la vie politique française, dictant ses souvenirs à sa secrétaire alors que le pays se trouve dans une crise ministérielle grave, se rappelant les trahisons et oppositions auxquelles il a dû faire face. Ce personnage s’inspire en grande partie de Georges Clemenceau, dont la photo dédicacée est d’ailleurs accrochée au mur de la chambre de Beaufort mais on peut aussi penser à Aristide Briand et même De Gaulle, revenu au pouvoir à l’issue de la crise de 1958 (entre le roman de Simenon et l’adaptation cinématographique). On assiste bien ici à la fin d’un régime, celui de la IVe République, ayant conduit à une forte instabilité ministérielle auquel va succéder celui de la Ve République voulue par De Gaulle, où c’est l’exécutif qui a la prédominance.
Même si Gabin et Audiard se sont toujours affirmé comme antigaullistes, on ne peut pas ne pas y penser quand Beaufort évoque les pleins pouvoirs et la nécessité de maintenir l’ordre. Beaufort se définit ainsi en dictant ses mémoires : « Je suis un mélange d’anarchiste et de conservateur dans des proportions qui restent à déterminer ». Cette définition pourrait parfaitement convenir à Clemenceau aussi bien qu’à Audiard ! Un homme politique, resté proche de ses racines locales et qui se dit « extrêmement ambitieux du destin de son pays et intransigeant sur la manière de le voir s’accomplir ». Ce film reste incroyablement d’actualité, une réflexion brillante sur le pouvoir et son exercice (comment concilier par exemple l’ambition personnelle et le bien public ?), en mélangeant les époques (alternance passé/présent des années 60) tout en affirmant à la fin avant le générique que le film est une fiction et qu’il ne serait que pure coïncidence d’y voir des évènements et personnages vivants !!! 🤗 On sent là le clin d’œil de Verneuil et Audiard. Les problématiques soulevées par cette œuvre de « politique fiction », peut-être la 1ère du genre (préfigurant les récents « Baron Noir » et « L’Exercice de l’Etat » en 2011 pour prendre 2 exemples), sont toujours actuelles et c’est ce qui est le plus surprenant : la construction européenne, les liens entre hommes politiques, grands groupes industriels et médias, représentés par le personnage de Chalamont, prêt à devenir Président du Conseil mais véritable affairiste sans conviction et sans scrupule, ce que lui reproche Beaufort.
Un film brillant, une réflexion salutaire sur ce que doit être une République démocratique et qui devrait faire réfléchir pas mal d’élus nationaux quand Beaufort assène dans son discours : « La Politique, messieurs, devrait être une vocation. Je suis sûr qu'elle l'est pour certains d'entre vous. Mais pour le plus grand nombre, elle est un métier. Un métier qui ne rapporte pas aussi vite que beaucoup le souhaiteraient et qui nécessite de grosses mises de fonds. Une campagne électorale coûte cher. Mais pour certaines grosses sociétés, c'est un placement amortissable en quatre ans. Et pour peu que le protégé se hisse à la présidence du conseil, alors là, le placement devient inespéré ». A méditer pour les étudiant(e)s en Sciences Politiques…