Nolan ne livre pas un film mais un véritable tour de magie
Livrer des succès critiques et commerciaux à partir de deux projets consécutifs en quelque sorte imposés par la production, autant dire que Christopher Nolan avait désormais toute la confiance de la Warner. pour ses futurs longs-métrages. À tel point que le réalisateur a pu mettre sur pieds Le Prestige, une adaptation du livre de Christopher Priest qu’il porte depuis la post-production d’Insomnia et dont il avait chargé son frère Jonathan d’écrire le scénario en attendant la mise en boîte de Batman Begins. Un projet sur lequel le Britannique a retrouvé toute sa liberté ainsi que tout ce qui a fait la réussite de ses débuts cinématographiques.
Pour ceux qui ont vu en Insomnia et Batman Begins des égarements hollywoodiens du réalisateur sans nier leur qualité, qu’ils se rassurent : Le Prestige s’inscrit dans la droite lignée de Following et de Memento, prenant comme base scénaristique une histoire tout ce qu’il y a de plus simple (un duel interminable entre deux magiciens) pour la complexifier au possible en usant à nouveau d’une narration non linéaire, d’un montage non chronologique. Encore une fois, le spectateur peut se demander où le cinéaste veut en venir avec tous ces sauts dans le temps. Mais en réutilisant ce procédé, Nolan avait peu de chance d’impressionner le public, ce dernier s’étant habitué à ses thrillers et ne se laissant donc plus avoir comme un amateur. Il va pourtant réitérer l’exploit pour le plus grand bonheur de tous
Au début du film, une voix-off (celle de Michael Caine) énonce les différentes étapes qui composent un tour de magie : la promesse, où un magicien présente au public quelque chose qui semble ordinaire, le tour durant lequel le magicien rend l’acte extraordinaire, et le prestige, l’étape finale où l’inattendu se produit et émerveille le spectateur. En commençant ainsi, Christopher Nolan annonce d’emblée la couleur : Le Prestige ne doit pas être considéré tel un simple film mais bien comme un tour de magie qui doit vous bluffer de bout en bout. Et pour cela, le Britannique a su respecter scénaristiquement et techniquement ces fameuses étapes pour que l’illusion souhaitée prenne forme.
Tout d’abord la promesse. Une longue introduction durant laquelle le réalisateur présente au public les différents personnages, notamment les deux principaux que sont Robert Angier et Alfred Borden. L’occasion de familiariser le spectateur avec leur univers qu’est la magie (via des tours, des spectacles, des astuces…) ainsi que leur époque, l’Angleterre victorienne, servie par une reconstitution détaillée et impressionnante (décors, costumes, accessoires…). Et c’est surtout le moment idéal pour capter son attention sans jamais la relâcher, par le biais d’un casting aux petits oignons, composé d’interprètes charismatiques au possible (Hugh Jackman et Christian Bale en tête), et d’une photographie qui arrive à instaurer à l’ensemble une ambiance néo-noire (visuel et jeux de lumières sombres) tout bonnement captivante. Bref, Nolan met en place tout l’intégralité de son échiquier en place, la pièce la plus importante étant l’élément perturbateur du scénario (la mort de la femme d’Angier), pour que le tour puisse commencer en ayant tous les regards posés sur lui.
Vient ensuite le tour, étape durant laquelle Nolan va prendre tous les éléments cités précédemment pour raconter son histoire de manière à la rendre extraordinaire. Pour cela, il va donc user de la narration non chronologique pour exécuter son spectacle tout en ayant conscience que le public garde un œil sur ce qui se passe à l’écran, comme une personne décortiquant le tour d’un magicien pour en repérer les astuces. Mais pour l’induire dans l’erreur, Christopher Nolan va à nouveau se jouer de lui en poussant sa construction non linéaire encore plus loin, allant jusqu’ alterner les points de vue en cours d’histoire : un personnage lisant le journal intime de l’autre protagoniste, ce dernier dévorant les notes du premier. Un procédé scénaristique qui permet de s’attacher aux deux anti-héros que sont Angier et Borden, sans jamais pouvoir dire qu’untel est meilleur ou pire que l’autre, et donc d’être captivé par leur affrontement qui devient de plus en plus dantesque au fur et à mesure que le film avance vers son dénouement. Un thriller implacable qui tient en haleine, autant dire que le tour de magie est passionnant à suivre !
Et enfin le prestige, la dernière demi-heure du film qui va voir bon nombre de révélations pointer le bout de leur nez, de flashbacks et de plans d’insert présentés durant le tour qui vont dévoiler tout leur sens bluffant le spectateur, qui peut enfin raccorder toutes les pièces du puzzle. Et finir par être émerveillé via l’illusion finale qu’il n’aura pas su voir venir (et qui ne sera pas spoiler dans cette critique) car n’ayant pas su repérer les différentes astuces du magicien qu’est Christopher Nolan avant que celui-ci ne les lui montre.
Encore une fois, le Britannique peut en perdre plus d’un à cause de son parti pris d’utiliser une narration non linéaire, comme ce fut le cas pour Following et Memento. Mais il sait à nouveau surprendre par l’aspect « tour de magie » de son film qui fait preuve d’un travail remarquable et rudement bien construit, aussi bien au niveau scénaristique que technique. Une nouvelle prouesse à rajouter au palmarès de Christopher Nolan qui, à l’époque, n’avait pas encore fini d’impressionner le public !