Un film éprouvant, magistralement réalisé par Orson Welles qui nous fait vivre le cauchemar de Josef K. (Anthony Perkins), banquier aux allures honnêtes qui se retrouve empêtré un beau matin dans les méandres d'une justice obèse, accusé d'un crime dont il ne connaîtra jamais la teneur, dont la seule sortie pour l'accusé est soit la folie, soit la mort.
La réalisation est impressionnante et représente une appareil judiciaire énorme, étouffant, statique, poussiéreux, sans issue. Les scènes marquent visuellement et sont d'une expressivité puissante. Le film décrit également une organisation totalitaire, où les droits des individus et la liberté sont peau de chagrin face à la puissance de l'Etat.
Si le film est grandiose, je reviendrai seulement sur certains éléments du films qui atténué l'impression positive que j'en ai eu.
Le film semble moins cohérent dans sa description du personnage principal : on ne connait rien de Josef K., si ce n'est qu'il vit dans une pension, ce qui est étonnant pour un banquier, et qu'il a une famille à la campagne. Propre sur lui, bel homme, il inspire confiance et son statut professionnel laisse à penser qu'il est un homme d'ambition. Néanmoins si son aspect extérieur laisse imaginer un homme exigeant, perfectionniste, la scène d'ouverture le montre sans caractère face aux policiers qui s'introduisent à l'aurore, voire assez indifférent à cette procédure et aux motifs de son accusation, puisque loin d'attaquer sa bonne humeur, celle-ci demeure intacte dès qu'il retrouve sa propriétaire Madame Grubach (Madeleine Robinson) puis sa voisine, Mademoiselle Burstner (Jeanne Moreau) - cette passivité sera constante dans son rapport aux femmes. Pourtant ce trait de caractère s'évapore lorsqu'il se démène contre le procès inique qui lui est opposé : discours flamboyant et courageux devant le juge d'instruction et la salle d'audience débordante de monde, rebellion face à la paraylise de l'organe judiciaire, même face à son avocat, Maître Hastler (Orson Welles), pourtant fin manipulateur ; mais il réapparait aussitôt dans son incapacité à chercher les raisons de son accusation, à fuir certains moments qui lui seraient importants dans son affaire au profit de batifolages. Ses actes de réactivité s'accomodent mal de cette passivité qui lui colle à la peau et qui rendent incohérents ses manifestations de courage. Finalement, on ne sait pas s'il est courageux ou non, et on ne sait pas si c'est l'ogre judiciaire qui le tue, ou son tempérament fluctuant.
De même, si le propos est de critiquer la folie d'une justice tétanisée, il perd en force à mesure qu'il décrit les femmes comme des créatures toutes atteintes de cette même folie, qui ne devient non plus un défaut propre à la justice, mais tout ce qui entoure Josef K. La folie n'est plus strictement limitée au judiciaire, ce qui fait du film une sorte d'épouvante onirique touchant tout ce qui entoure le personnage principal plus qu'une simple critique de la bureaucratie, ce que le film avait pour objet de représenter.
La fin du film suscite une incompréhension d'ordre chronologique : si l'on comprend a posteriori que Josef K. a été condamné à mort, la scène semble venue de nulle part puisqu'elle fait suite immédiatement à sa sortie du tribunal, qui avait pourtant fait naître un sentiment d'espoir. Cette condamnation à mort semble péremptoire et en contradiction avec l'idée d'une justice à l'arrêt présentée dans le film.
Enfin, il semble que les femmes soient systématiquement assimilées à l'organe judiciaire : face à elles, Josef K. est passif, impuissant, et se laisse envouter sans se battre par les moments de plaisir qu'elle veulent lui offrir. Dans ces moments, on sent Josef K. respirer, quitter un instant ce cauchemar qu'il vit, mais il est systématiquement dupé puisqu'elles ont toutes un lien fort avec cette justice obèse : la belle Léni (Romy Schneider), derrière ses apparats séducteurs, semble être une esclave de Maître Hastler. Il en est de même pour Hilda (Elsa Martinelli), séduisante mais fille du Tribunal. Toute cette description est brillante et assez inédite, mais l'on se demande pourquoi Orson Welles met en scène des créatures si parfaites et pourtant tant déshumanisées (Jeanne Moreau bourrée au petite matin, Romy Schneider complètement perverse, Elsa Martinelli également), sans que cela serve le fond du récit. C'est saisissant, j'ai beaucoup aimé, mais j'en cherche encore une explication plus profonde. Est-ce une pure critique mysogine ?