Il y a dans le troisième film de la comédienne Ronit Elkabetz et de Shlomi, son frère scénariste, quelque chose d’un opéra, d’une tragédie grecque, d’un drame shakespearien. Le fond rouge sur lequel défilent les génériques de début et de fin nimbés d’une musique lyrique – le même rouge que l’affiche – contribue d’évidence à cette impression, mais c’est davantage l’unicité du lieu – une salle austère d’un tribunal rabbinique – où se déroule le procès d’une femme, Viviane Amsalem, et non pas de son mari, qui demande le divorce refusé par ce dernier. Or en Israël, le divorce civil n’existe pas et il incombe donc aux rabbins de prononcer un mariage et son éventuelle dissolution, inaptes cependant à obliger le mari à donner son consentement s’il ne le souhaite pas. Le cinéma israélien souvent en prise avec l’actualité et salué à juste titre pour sa capacité à aborder de manière frontale et courageuse les réalités complexes et contradictoires d’un pays a toutefois laissé transparaitre l’image d’une nation moderne, ouverte et loin de tout archaïsme – même si la place de la religion demeure primordiale.

On a ainsi peine à croire que nous sommes à l’époque actuelle – et non au Moyen-âge – quand on constate le sort réservé à une femme voulant recouvrer sa liberté depuis cinq années, la durée d’un procès kafkaïen et ubuesque, ou encore la partialité du trio de juges. La réalisatrice qui joue à la manière d’une Anna Magnani le rôle de cette épouse déterminée et indomptée réussit dans cet huis clos de près de deux heures à installer une tension palpable qui ne se relâche jamais. Soutenu par des comédiens impeccablement dirigés, s’appuyant sur un scénario écrit au scalpel, le film démonte ainsi les rouages d’une société israélienne arc-boutée sur des principes qui paraissent anachroniques, où les rapports de domination et de pouvoir sont conditionnés par des négociations perpétuelles héritées de la loi du Talion, du donnant-donnant, où il est avant tout question de ne pas perdre la face et d’asseoir sa supériorité orgueilleuse face à l’autre, fût-elle sa femme et la mère de ses quatre enfants. A cet égard, on peut aussi voir au travers de l’histoire singulière de ce couple la métaphore du conflit qui oppose, depuis plus d’un demi-siècle, Palestiniens et Israéliens, dont la résolution est sans cesse atermoyée,

Le procès de Viviane Amsalem est donc un film éprouvant, à la limite de l’épuisement nerveux. Continuellement différé, notamment au gré des humeurs du mari qui ne se rend pas aux convocations des juges, le verdict que quelques témoins devraient aider à rendre, attestant au contraire du fossé grandissant et de l’impossible réconciliation, se fait toujours attendre. La grande force du film est aussi d’utiliser tous les dispositifs du cinéma (la disposition des corps, le choix des cadres, le travail sur les contrastes avec la juxtaposition géométrique des à-plats blancs et noirs, les gros plans et ceux d’ensemble). Ce ballet des corps qui se frôlent et s’affrontent dans un espace clos et saturé de tension, menaçant d’imploser, on l’avait déjà beaucoup apprécié dans Les Sept jours. En tout cas, Le procès de Viviane Amsalem vient clore de manière magistrale la trilogie initiée en 2004 avec Prendre femme, où déjà Viviane, lassée d’une existence où ses droits et sa liberté lui étaient déniés, envisageait de quitter son époux. En dix années, Ronit et Shlomi Elkabetz ont confirmé leur maitrise comme cinéastes et scénaristes, personnes engagées humainement et politiquement, revendiquant avec éclat leur position et leur point de vue.
PatrickBraganti
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