Sans doute pas la mieux filmée, loin de là, mais l'une des plus originales pour une comédie satirique et grinçante où ce pauvre pleutre est constamment pris en étau entre les deux clans, devant se faire passer pour un sympathisant de chaque bord s'il veut avoir la vie sauve.
Ce qui surprend avant tout c'est qu'il n'y a pas grand monde de fondamentalement positif : le personnage principal est un anti-héros absolu, un être chétif, pathétique, lâche et au physique ingrat (son épouse est encore pire), les civils dans la grande majeure partie semblent surtout subir le conflit et même les révolutionnaires soviétiques peuvent se montrer parfois inquiétant voire menaçant dans leur autoritarisme à l'instar d'une cheffe froide et sans empathie. Il n'est donc pas surprenant que la censure bloqua le film qui échappa même de peu à la destruction... Ce qui peut expliquer la disparation très rapide du cinéaste dès l'année suivante qui ne fit qu'un rapide et unique come-back en 1945 (et davantage comme co-réalisateur). C'est dommage puisque Nikolaï Chpikovski semblait assez doué pour l'humour si on en juge par sa précédente réalisation, le délirant court-métrage La folie des échecs (en collaboration avec Poudovkine).


En tout cas, on ne se plaindra pas de sa survie car le profiteur est plutôt drôle, lucide et tape souvent juste au point qu'on l'imaginerait très facilement avec Alberto Sordi dans le premier rôle. Les tribulations que rencontre le héros sont bien rythmées, changent assez souvent de cadres avec régulièrement quelques touches qui ré-contextualisent les conséquences de la guerre sur la population : pénurie alimentaire, marché noire, problème de ravitaillement, habitants lassés d'être déplacés, travail forcé, alcool de contrebande, représailles d'une armée puis de l'autre. C'est assez complet même si sur 80 minutes, les rencontres alternées du petit bourgeois tournent un peu en rond finalement et que la réalisation n'est pas toujours au top. Il y a des moments assez inspirés visuellement (le montage alterné audacieux et étonnement lyrique entre paysans fauchant les blés et les corps tombant sous les balles ; la progression instantanée du "profiteur" dans les rangs conservateurs en une série de fondu-enchainés sur son style vestimentaire) quand d'autres passages sont plus décontractés (la dégustation des saisies d'alcools) pour ne pas dire académiques.
Ce n'est donc pas le plus formaliste des films muets soviétiques mais ça correspond bien à l'esprit du film, au personnage médiocre qu'on finit par prendre en sympathie et son improbable sidekick animalier.

anthonyplu
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le 21 janv. 2018

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