L'horreur n'a pas de visage
Il est aisé de critiquer un film que l’on vient de voir. Cela nous permet d’évoquer facilement l’histoire, ses caractéristiques, ainsi que notre ressenti. Parfois, on oublie rapidement le film en question, et il est alors bien plus ardu de rédiger quelques lignes à son propos.
Je me permets aujourd’hui de faire la critique d’un film que je n’ai pas revu récemment. Non, mon visionnage remonte à une dizaine d’années. Des années pendant lesquelles des souvenirs restaient imprégnés dans mon esprit. Des souvenirs de cette forêt, de ces jeunes effrayés, et de toutes ces choses qu’on ne voit pas, mais que l’on imagine.
C’est là la grande force de ce film ; la force que tout film d’horreur devrait posséder. Il ne s’agit pas de nous faire sursauter, de nous apeurer pendant une ou deux heures. C’est bien trop simple. Ici, on joue sur nos émotions, notre imaginaire, notre mémoire, et ainsi, l’œuvre nous marque, elle reste en nous pendant un long moment, et resurgit parfois, accompagné de cette peur indescriptible.
J’avais donc 7 ou 8 ans le jour où ma sœur inséra la cassette du Projet Blair Witch dans le magnétoscope. C’était un dimanche matin, nous étions tous les deux seuls à la maison. Pendant le déroulement du film, ma sœur me demandait si « ça allait ». Je répondais que oui et je ne mentais pas, car oui, « ça allait ». Plusieurs scènes m’ont angoissé, comme le moment où les personnages ne sont plus en sécurité dans leur tente et se mettent à courir en pleine nuit dans les bois, où encore lorsqu’une personne interrogée raconte une histoire plus que sordide. Mais je pense qu’une seule scène m’a vraiment terrifié sur le coup. La fin. Quand la fille, entrée dans cette maison, entend son ami crier, qu’elle descend à la cave, que l’on sent la fin de la cassette arrivé, et que l’on voit… ça… Cette image finale m’a achevé, je n’ai aucun problème pour me rappeler clairement de cet ultime moment passé devant ce film.
Après avoir sorti la cassette et l’avoir gentiment rangé, je ne sais plus pour quelle folle raison, dans le coffre sous mon lit (véridique), nous avons joué aux cartes pour me changer les idées. Je tremblais en déposant chacune de mes cartes sur le tapis. Le reste de la journée s’est passé normalement, mais c’est la nuit que j’ai compris. J’ai su que je n’allais pas dormir, du moins, pas comme je le souhaitais, pas sans avoir repensé d’abord au film, m’être repassé toutes ces horreurs en tête, pas sans garder la lumière allumée. Et ça a duré longtemps…
Parfois, ce n’était pas le souvenir d’une scène qui m’effrayait, seulement le souvenir d’une angoisse que j’avais connu devant ce film.
Car j’étais en fait aussi perdu que les personnages, amené dans la terreur, happé dans l’effroi. Eux qui dans la forêt plantent leur tente, mais aussi leur destin… enfonce les piquets, ainsi que leur espoir… J’aurai pu arrêter de regarder, mais j’étais absorbé.
J’ai mis des années avant d’oser revoir un film d’horreur. Aucun ne m’a jamais autant fait d’effet.
L’horreur n’a pas de visage.
On pourra dire que j’ai eu si peur parce que j’étais enfant. A cela je répondrais oui. Ce film joue énormément, essentiellement sur l’imagination. C’est fou ce qu’un enfant peut imaginer.
On pourra donc dire que j’aurais pu voir n’importe quel film du genre et qu’il m’aurait fait cet effet. A cela, je répondrais non. Je ne vois pas de film qui manie aussi bien la peur, la vraie. Certes, je ne suis pas un grand connaisseur, mais ce Projet Blair Witch me paraît être une œuvre assez pertinente de ce point de vue.
Peut-être qu’un autre film aurait pu me traumatiser, peut-être que je n’aurais rien ressenti en découvrant celui-ci aujourd’hui. Peut-être… Il n’en reste pas moins que je ne peux pas renier que ce film a tenu ses promesses avec moi.
J’ai eu peur.
Peur.
Quant à la cassette qui est restée si longtemps sous mon lit, disons qu'elle a été joyeusement détruite une après-midi.
Aujourd’hui, je n’ai plus peur de ce film. Je peux y repenser, me repasser des scènes dans la tête, ça ne m’empêchera pas de dormir, mais une certaine sensation me ramènera à ces nuits passées en position fœtale sous ma couette.
Aujourd’hui, la seule chose dont j’ai peur, c’est Keyser Söze.