Attention cette critique révèle une grande partie de l'intrigue


Que vous aimiez ou non le cinéma d’épouvante/horreur vous connaissez sans nul doute ce film, du moins le titre, Le Projet Blair Witch sort durant l’été 1999 et se taille en peu de temps une réputation phénoménale, présenté pour la première fois au festival de Sundance ce long métrage amateur tourné en une semaine au budget dérisoire marque les esprits des spectateurs et de la critique, d’une part grâce à son concept novateur mais aussi par son marketing astucieux. Le duo de réalisateurs Daniel Myrick et Eduardo Sanchez eurent la brillante idée de présenter leur projet tel un documentaire rassemblant les preuves de la disparition de trois étudiants en cinéma dans une forêt du Maryland, prétendant avoir retrouvé leur matériel vidéo, appuyé également par des flyers ainsi qu’un site web pour attester de la véracité de leur entreprise. Évidemment cela peut prêter à sourire aujourd’hui mais à l’époque de l’internet 1.0 l'affaire était toute autre compte tenu du fait que rien n'était foncièrement vérifiable, la curiosité étant et le buzz viral lancé le public se rua en salles, résultat : les recettes explosent et le film engrange plus de 240 millions de dollars faisant de lui le plus rentable de l’histoire du cinéma, le canular pouvait être débusqué le mythe était crée …


Ma première expérience avec Le Projet Blair Witch s’est déroulée un an plus tard, à 15 ans via le format VHS, je me rappelle qu’un ami m’avait vivement conseillé de le visionner seul au milieu de la nuit, déjà grandement friand de films d’épouvante je dois dire que celui ci m’intriguait particulièrement, d’où cette excitation d’attendre posément que l’obscurité remplisse ma chambre, ne laissant que l’écran de mon petit téléviseur faire son boulot d’hypnose cathartique. Et ce qui était étrange c’est qu’au fur et à mesure je me demandais (sans doute inconsciemment) ce que je regardais, c’était tellement inédit pour moi, rarement ressenti un malaise si profond en terme d’angoisse, si ce n’est avec le Shining de Kubrick ou encore le Halloween de Carpenter, mais là c’était autre chose, l’ambiance était si réaliste … L’avènement de la télé-réalité a sans doute également jouée, M6 nous proposait à l'époque avec Loft Story de vivre le quotidien d’inconnus dans une villa confinée, mêlant pur voyeurisme et divertissement, l’expérience spectateur avait relativement évoluée donc et ce sentiment de proximité à l’image s’est retrouvée équivoque en ce qui concerne l’utilisation de la caméra et ce qu’elle nous raconte, avec comme mot d’ordre que tout ce que nous voyons est vrai. Évidemment on pourrait citer Cannibal Holocaust (1980) comme étant l'un des premiers found footages de l'histoire, ou même certains autres films sortis quelques mois avant Le Projet Blair Witch comme The Last Broadcast, mais le long métrage de Deodato mêlait clairement fiction et documentaire tandis que celui de Avalos et Weiler est quant à lui un vrai-faux documentaire avec des intervenants (d’ailleurs complètement passé inaperçu), le principe concret du concept du PBW étant de suivre ces trois étudiants dans la forêt à partir d'un objet rassemblant par simples coupes des fragments de prises de vue "brutes", c’est à dire sans aucun artifice de montage, comme si nous étions privilégiés à la découverte de ces images, là où tout peut arriver. Car la mise en scène reste un confort au cinéma, nous avons par expérience assimilé les codes du genre horreur et appris à les intégrer dans notre bagage culturel, nous savons par exemple qu’un champ appelle un contre-champ, qu’un travelling suit un chemin pré-établit, qu’une musique dicte notre émotion; le found footage vient alors briser cette barrière, c’est l’inconnu qui s’offre à nous (les réalisateurs vont même aller jusqu’à laisser leurs acteurs à l’improvisation, en grande partie maitres de leurs répliques, réactions ainsi que du matériel).


L’objet en question est donc un projet d’études consacré à la légende de la sorcière de Blair qui hanterait la forêt du conté de Burkittsville dans le Maryland (nord-est des États-Unis), Heather, Josh et Mike vont se rendre sur les lieux pour enquêter, en commençant par interroger les habitants pour ensuite s’enfoncer dans les bois. L’introduction du film nous avertit textuellement que les jeunes apprentis-cinéastes ont disparus durant le mois d’Octobre 1994 et que leurs rushs furent retrouvés l’année suivante, ce qui nous place directement dans un contexte de fait-réel, astuce déjà utilisée par Tobe Hooper dans Massacre à la Tronçonneuse, renforçant ce sentiment d’insécurité et de proximité, puis le cadre fait le point pour révéler ses protagonistes. Il est question ici de rentrer dans leur intimité, de visionner les offs de leur travail, de ce fait nous les voyons se filmer entre eux avec une technique rudimentaire, équipés de deux caméras : une 16 mm N&B et un caméscope couleurs + un DAT, ils tournent ensuite quelques séquences pour dans le même temps nous fournir les informations cruciales visant à nous conditionner à l’ambiance qui va suivre. L’important à ce moment précis est de nous forger une représentation, Le Projet Blair Witch n’est constitué au final que de suggestions et d’interprétations de la peur, la fameuse sorcière et tout le mythe l’entourant (notamment les enfants tuées par Rustin Parr en 1940, avec une méthodologie bien particulière) ne resteront qu’à l’état de témoignages, seuls quelques villageois prétendent l’avoir vu, et pas des plus fiables, comme la vieille femme un peu folle ou un pêcheur semblant abuser de la bouteille, mais tous les éléments laissent à penser que le mystère réside à Coffin Rock, en plein cœur de la forêt. Le temps de laisser leur voiture pour emprunter un sentier et les voilà rejoignant le théâtre de leur sombre destin, ignorant que les bois allaient littéralement les aspirer dans un tourbillon de déséquilibre mental et spatial.


Car une fois dans cette fameuse forêt la tension se fait rapidement ressentir, pour cause la perte d’orientation et les divers phénomènes étranges qui vont intervenir, l’angoisse est graduée, les nerfs des personnages lâchent petit à petit de manière terriblement crédible, les journées sont labyrinthiques et les nuits de plus en plus inquiétantes, les signes laissées par une prétendue force s’apparentent à un avertissement, celui d’une mort certaine. La seule et unique manifestation paranormale du film intervient lors de la scène de la tente où on entend distinctement des pleurs de bébés, au loin puis tout autour, sinon la suggestion est telle que le reste peut très bien s’expliquer de manière plus ou moins rationnelle, comme par exemple des petits plaisantins voulant leur foutre la trouille en disposant des tas de pierres devant leur campement ou, encore plus farfelue, que tout cela ne serait qu’une obscure machination de Josh et Mike visant à assassiner Heather en faisant semblant de se perdre pour l’amener à la vieille bâtisse de Rustin Parr (analyse ici). Mais la meilleure interprétation reste celle ouverte à l’occultisme et à l’invisible, la terreur hors champ est construite ainsi, et c’est leur propre folie qui est révélatrice d’une réalité qui se fissure …



"It’s totally like filtered reality. It's like you can pretend
everything is not quite the way it is." (Josh)



L’immersion fait son œuvre et nous craignons nous aussi le crépuscule, et peu importe si cette rivière ne demandait qu’à être suivie en toute logique et cohérence, ces individus sont voués à disparaitre, "alea jacta est", et la disparition de Josh au petit matin sèmera définitivement le chaos dans leurs esprits, que faire ? Retrouver leur chemin indéfiniment ? Partir à la recherche de leur ami ? Ou tout simplement attendre leur tour ? Le désespoir se lit sur leurs visages où comme dernier réflexe cette obstination de continuer à filmer pour constituer une sorte de chronique macabre, un film qui n’est plus leur film, et qui ne l’a jamais été, le testament-vidéo de Heather répond dans ce sens, et nous spectateurs sommes les témoins voyeuristes de leurs dernières heures. Lors de cette ultime partie l’ambiance est à son paroxysme, la nuit du terminus où la révélation est censée nous être enfin délivrée, en suivant les hurlements de Josh nous entrons dans cette maison délabrée, Heather et Mike montent à l’étage puis redescendent au sous-sol, nous acheminant à cette scène finale ouverte et fascinante. Mais que s’est-il passé ?


Tout porte à croire que cette histoire se clôt sur un schéma bien connu, celui de Rustin Parr qui plaçait ses victimes chacune à leur tour contre le mur pour les tuer un par un, sur le dernier plan du film Mike se tient dans le coin de la pièce (et non pendu comme beaucoup le croient) après avoir été capturé par quelqu’un ou quelque chose, Heather, elle, redescend l’escalier en criant. Une idée commune est répandue comme quoi la sorcière tiendrait elle même la caméra 16mm, ce qui est totalement faux, car c’était sans compter sur l’absence du DTV, le caméscope au sol est le seul matériel à ce moment précis à capter le son, et une fois que Heather arrive au sous-sol ses hurlements se synchronisent au micro. Mais ceci n’est audible que dans la version originale, la VF a oubliée ce détail, j’en profite d’ailleurs pour préciser que la VOSTFR est absolument primordiale pour ce film si l’on souhaite en ressentir les échos, car la prise audio d’origine révèle toutes les subtilités du genre found footage, donnant fondamentalement du relief à l’ambiance, il est évident qu’une traduction collée en post-production anéantisse le degré réaliste de la mise en scène (à bon entendeur). Heather est donc attrapée par la suite, laissant la caméra tomber au sol pour tourner dans le vide avec ce bruit de bobine saccadée, les trois étudiants ont donc connus le même sort funeste que ces disparus alimentant le mythe urbain de la sorcière de Blair, il font désormais eux aussi parti de la légende, celle captée sur pellicule. Ce que l’on peut globalement retenir de ce film c’est son caractère concret et matériel se diffusant et s’écroulant dans les abimes de l’innommable, que notre familiarité à l’imagerie écrue des caméras de poche ou du cadre sommaire reste un procédé efficace lorsqu’il est confronté à nos peurs enfouies, généralement canalisées par des codes de mise en scène, l’horreur que l’on semble toucher du doigt.


Le Projet Blair Witch s’est donc fort logiquement placé comme le précurseur d’un nouveau genre populaire, le found footage d’épouvante, un pur chef d’œuvre que les héritiers n’arriveront à égaler, même si certains demeurent très corrects comme [REC], V/H/S, Noroi ou encore Lake Mungo, la majeure partie d'entre eux ne parviendra plus jamais à capter cette sensation si particulière, souvent détournée de ses lois pour déverser un flot d’artifices malvenus plombant tout effet. La recette juteuse du profit facile pour les studios hollywoodiens provoqua l’irrémédiable usure du format, il suffit par exemple de constater l’interminable saga Paranormal Activity monopolisant les écrans sur quasiment une décennie, un gâchis sans précédent. Une suite directe et en tout point traditionnelle, Blair Witch 2 : Le livre des ombres, vue également le jour dans la foulée du film de Myrick et Sanchez avec l’ambition de surfer sur son succès commercial, en vain, échec retentissant, le XXIe siècle était en marche et le public se réclamait d’autre chose, le mythe était définitivement enterré …

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le 6 sept. 2016

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JimBo Lebowski

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