A mi chemin entre le film d'aventure historique et l'histoire d'amour touchante, Le quarante et unième fait l'effet d'un direct à la mâchoire lorsqu'il se termine. Grigori Tchoukhrai joue toutes ses mains avec un calme à toute épreuve, gardant son atout maître pour la fin de son film, déchirante, noire en diable, de celle dont on se souvient assurément. Le tour de force du cinéaste est de nous faire sourire lorsqu'il nous présente Marioutka, tireur d'élite de l'armée rouge, patriote Bolchevique jusqu'au bout des ongles. Cette dernière fait alors un carton sur deux officiers russes, augmentant son bodycount personnel avec le sourire. La scène semble innocente, mais elle n'est que la première étape d'une histoire qui saura compenser son côté linéaire et un peu convenu par une étude de personnages menée d’une main de maître.
A travers Marioutka et le lieutenant Govoroukha-Otrok, Grigori Tchoukhrai se livre à un portrait très humain des combattants de la guerre civile russe, faisant naître entre un sentiment amoureux pour les affranchir des barrières sociales qui les séparent depuis toujours. Pour autant, leurs convictions profondes, du côté de la jeune femme notamment, entièrement dédiée au mouvement révolutionnaire qu’elle défend, ne s’estompent d’aucune façon. Et c’est bien cette facette des deux personnages qui donne toute sa puissance à Le quarante et unième. Entre passion amoureuse et conviction politique, jolis yeux bleus et sécurité de ses camarades, choix du cœur et de la raison, il semble bien délicat de pouvoir raisonner avec impartialité.
Lorsque le rideau tombe en fin de film, c’est un sentiment d’une logique implacable qui nous saisit. Si au prime abord on peut se laisser aller à penser que la conclusion de Grigori Tchoukhrai est un brin facile, il n’en est rien. Elle est au contraire le fait de tout ce qu’il a su mettre en place progressivement pendant les 90 minutes qui ont précédé. Parfois peut-être avec précipitation —la romance progresse un peu vite entre les deux tourtereaux, ou alors j’ai toujours sous estimé le pouvoir de séduction de Robinson Crusoé— mais bel et bien dans le but précis d’amener le propos vers une antithèse finale indiscutable.
Outre cette démonstration narrative qui force le respect, Le quarante et unième impressionne aussi par sa proposition formelle, faite d’une photographie qui parvient, d’une façon somptueuse, à tirer le maximum des grands espaces qui ponctuent le chemin des deux personnages. Tout le passage dans le désert est un joli tour de force, fait de plans magnifiques, générateurs d’une ambiance suffocante à couper le souffle. A noter également une partition musicale intelligente, qui évite de sortir les violons au moment où l’on s’attend à les entendre sonner. Enfin, il serait un peu cavalier de terminer cet avis sans mentionner la pétillante Izolda Izvitskaïa qui sait rendre son personnage aussi casse pied qu’attachant.
Plus qu’une simple illustration de la guerre civile dont le film reprend le contexte, Le quarante et unième est une démonstration réussie du paradoxe qui accompagne souvent des convictions trop extrêmes. Entre se battre pour ce en quoi l’on croit fermement, et se laisser aller à ses sentiments, il est bien délicat de trouver un juste milieu, et tout aussi difficile de régler la question à l’aide d’un choix ferme et définitif.